mercredi 24 octobre 2018

Le Discours, Fabrice Caro

Adrien n'avait vraiment pas besoin qu'on lui demande cela. Faire un discours le jour du mariage de sa sœur, alors que lui vient de se faire larguer et que de toute façon sa vie est un désastre !


Souvent la quarantaine est le temps des bilans. Chez Adrien, c'est le temps de la déprime. Rien ne va : son travail n'est pas particulièrement passionnant (d'ailleurs il en parle peu) et ses amours sont au plus bas. Cela fait presque un mois que Sonia est "en pause" et elle ne donne toujours pas de nouvelles.
"J'ai besoin d'une pause. Voilà ce qu'elle m'avait annoncé un soir, il y a exactement trente-huit jours, sans préambule, sans autre explication ni justification, débrouille-toi avec ça".

Comme Adrien est un être résolument centré sur lui-même, il est persuadé que le SMS qu'il vient d'adresser à son ex aura une réponse. Les minutes, puis les heures passent et toujours rien. Pour couronner le tout, il doit supporter un affligeant repas de famille dans lequel il doit supporter les poncifs de sa mère, les réflexions de son père et le couple idéal formé par sa sœur et son futur beau-frère Ludo. Justement, ce dernier croit lui faire plaisir en lui demandant d'écrire un discours qu'il lira le jour de leur mariage. Tu parles ! Adrien est trop désabusé pour raconter quelque chose de valable, en plus parler devant tout le monde, ce n'est pas son fort.
"On n'attend pas de moi que je m'acquitte d'une simple formalité, un acte anodin qui s'insérerait mollement entre le trou normand et la découpe de la pièce montée dans une succession éprouvée de minuscules rituels, non, je suis le garant officiel du plus beau cadeau de la soirée, le clou du spectacle, l'apothéose".

Et Sonia qui ne répond toujours pas...

Les souvenirs affluent. Qu'est-ce qui a bien pu coincer pour que Sonia aie besoin d'une pause interminable ?
"Au fond, ce discours est une aubaine. C'est l'occasion idéale de remettre les pendules à l'heure. Casser cette image d'introverti de service, exhiber enfin à la face du monde le trublion qui se cache derrière la carapace atone".
Adrien est un narrateur drôle, touchant, souvent décalé et surtout incapable de se remettre en question. Il ne va pas bien donc tout va mal et il ne comprend pas que le monde continue de tourner. Le souvenirs racontés permettent d'échapper à l'unité de temps et d'action. Le discours devient un prétexte à un monologue angoissé dans lequel les anecdotes drôles ou cuisantes se bousculent et dressent un portrait touchant du narrateur.
Fabrice Caro a utilisé un style frais et limpide, servi par des chapitres assez courts. Issu de la bande dessinée, l'auteur est une voix neuve en littérature.
Dès lors, Le Discours est un roman sans prétention qui se lit plaisamment d'une traite, dans lequel forcément chaque lecteur s'y retrouvera à un moment ou à un autre.



Ed. Gallimard, collection SYGNE, octobre 2018, 208 pages, 16€

SYGNE est le prénom de l'héroïne dans l'Otage de Paul Claudel, le tout premier livre publié par Gallimard, en 1911