mercredi 3 octobre 2018

Eden Springs, Laura Kasischke

Michigan, début du siècle dernier. Une étrange communauté vêtue de blanc attire l'attention, guidée par un homme charismatique, Benjamin Purnell.

Il dit : "Il faut des abeilles, mes beautés - pour le verger. Qu'est-ce qu'un verger sans abeilles pour aider à la formation du fruit, pour polliniser les fleurs ? Sans abeilles, vous n'avez rien, mes jolies".
Benjamin Purnell parle et toutes se taisent. Cette voix douce, mélodieuse qui vous transporte, vous rassure et vous apaise ! Ce fut d'abord Cora, son ancienne maîtresse d'école qui fut attirée par la voix de son élève devenu un jeune homme fort, barbu et si beau ! A travers ses yeux perçants, elle devenait enfin une femme et se sentait désirable. Elle l'a suivie et a consenti à toutes ses demandes faites à demi voix.

Maintenant, on vient de partout, même d'Australie pour vivre auprès du prédicateur qui promet vie éternelle et jeunesse retrouvée. Et tant pis si Benjamin préfère que les hommes de la communauté restent chastes. Ils sont tous beaux, apaisés, vêtus de blanc et écoutent leur despote.
"Tant de beauté, tant d'abondance.
Les gens les laissaient tranquilles. Personne ne semblait savoir ce que la Maison de David pouvait bien faire là ni s'en inquiéter. Les fidèles faisaient de bons voisins. Il s'habillaient en blanc. Gardaient les cheveux longs. Qui auraient pu se plaindre? Ils étaient polis. Ils restaient entre eux".
A Benton Harbor, la communauté d'Eden Springs est tolérée. Depuis qu'elle a ouvert un parc d'attraction et finance une équipe de baseball, on se dit que finalement ils ne doivent pas être si différents des autres.
"Eden Springs. Le plus beau parc d'attractions sur Terre ! Rien ne manquait, pas même le petit train, la brasserie de plein air, les jeux, le zoo, le terrain de baseball et la musique chaque soir "!
Les jeunes filles en fleurs vivent entre elles. Toutes sont amoureuses de Benjamin. Lorsqu'il apparaît, il est une incarnation de Dieu. De loin, Cora veille. Si elles savaient ! Comment expliquer la présence du corps de l'une des leurs dans le verger voisin ? Il suffit que Benjamin leur parle ; elles boivent ses paroles.
"A ses yeux nous étions comme des fruits. A nos yeux, il était comme Dieu".
Dans la Maison de Diamant, Purnell choisit sa nouvelle proie. La colonie grandit, les enfants abondent. Phénomène assez curieux quand on prône la chasteté des couples. Il a bien fallu se débarrasser du corps pourrissant dans la nature. Or, le fossoyeur de la ville se rend compte par hasard que ce n'est pas celui d'une vieille dame comme cela est inscrit sur le certificat de décès. Le Jardin d'Eden Springs renferme des secrets inavouables.
"Finalement cette histoire n'est pas si différente de celle du jardin d'Eden. Pendant ce temps, il y eut du plaisir et de la perfection, de la joie sur Terre et dans la chair, de la liberté et peut-être même une espèce d'innocence alimentée par l'isolement et la foi aveugle. Puis vint la chute - d'autant plus terrible qu'elle touchait le Paradis -, si pétrie de sexe et de scandale que la mort était son invention".

Eden Springs est une vieille histoire, une curiositée oubliée. Laura Kasischke a exhumé des photos de la communauté de Benjamin Purnell et les a placé en fin d'ouvrage. L'histoire devient tangible. La réalité côtoie la fiction.
 "Ils verraient la vérité que tout cela recelait - la vie du corps".
Ces corps si purs, si loyaux, si amoureux d'un "puissant singulier". Le sexe devient une arme; la violence est larvée entre les prétendantes. Il a suffit qu'une d'entre elles se sente bannie pour qu'elle se mette à parler et déclenche la machine judiciaire.
Eden Springs est un récit entrecoupé d'extraits de journaux, de témoignages de compte rendus d'audience. Le blanc immaculé se ternit  au fil des pages. La dévotion laisse la place au comportement étrange. Benjamin Purnell est "un monarque éclairé" qui use et abuse de la confiance des membres de sa colonie.
Laura Kasischke exhume le fait divers et réinvente la curieuse histoire de ce parc d'attractions qui servit de modèle au premier Disneyworld.
Un homme-gourou, des jeunes filles hypnotisées, le culte du secret, le sexe suggéré, autant d'éléments qui, sous la plume de l'écrivain, devient un récit flamboyant.

Ed. Page à Page, août 2018, traduit de l'anglais (USA) par Céline Leroy, 170 pages, 18€