lundi 29 octobre 2018

Dernière Journée sur terre, Eric Puchner

En 2013, dans son premier roman Famille Modèle, (Albin Michel) Eric Puchner épinglait et célébrait à la fois l'entité complexe du noyau familial. Il réitère sur le sujet sous la forme d'un recueil de neuf nouvelles dans lesquelles il n'hésite pas parfois à utiliser la trame fantastique pour mieux atteindre son but.


Ces neuf  récits ont tous en commun d'appréhender le sens véritable du mot famille. A l'origine, c'était le pater familias qui symbolisait l'unité familiale et décidait pour tous. De nos jours, les choses ont bien changé. Les pères sont souvent défaillants, absents ou fuyant une situation qu'ils n'arrivent pas à assumer. La famille monoparentale s'impose lentement mais sûrement. Etre mère ne s'improvise pas. Cela ne sert à rien d'envier la vie de sa sœur comme cela arrive parfois à Margot, car quand on gratte le vernis, on se rend compte que tout n'est pas si idyllique que cela.
"Même si elle lui disait qu'elle l'aimait, même si elle recommençait à lui mimer chaque soir ' Pluie soutenue, vent sur la plaine', à lui souffler dans le visage comme si elle l'enveloppait dans sa respiration - même si elle faisait tout cela, une petite voix dans la tête de Josh continuerait à chuchoter : Elle fait semblant , elle joue le premier rôle dans une pièce intitulée TaMère". (Là, maintenant!)

Le pater familias de l'Antiquité n'est plus que l'ombre de lui-même. Alors, ce sont les enfants qui prennent les choses en main. Dans Des Monstres magnifiques, l'auteur invente même une société qui a réussi à se débarrasser des adultes. Dans les maisons vivent et travaillent désormais des fratries programmées à craindre les êtres humains adultes réfugiés dans les bois.
Quand la pression devient trop forte, la jeune génération a le pouvoir de s'évader par l'esprit. Et si notre mère n'était qu'un robot que le beau-père s'amuserait à reprogrammer nuit après nuit ? ( Là, maintenant !) Et si nous n'étions que les avatars d'un univers parallèle au notre ? ( Couvée X)
Les ressources sont nombreuses pur se réfugier et oublier un temps notre vie.
"Rogelio voulait que la vie soit précise et sans compromission, comme un grand roman. Or elle était vague, incongrue et mal ficelée. Il fallait sans cesse faire des compromis". (Independance)

Dernière journée sur terre est un aussi un recueil de nouvelles aux ambiances radicalement différentes. On passe d'une après-midi sur la plage à une fête aux relents de cocaïne (Paradis). Dans Trojan Whores Ae You Back, on suit un vieux groupe de rock sur les routes dont le leader est en instance de séparation, alors que  Independance se déroule dans l'ambiance feutrée d'une ancienne librairie.

Quelque soit le milieu, l'époque ou l'événement déclencheur, chacun des protagonistes dépend, qu'il le veuille ou non, des siens. Eric Puchner utilise l'humour, le ressort fantastique ou l'absurde pour expliquer le lien ténu mais indéfectible qui nous relie à nos parents ou à nos frères et sœurs. A mon avis, Expression est la nouvelle qui exprime le mieux la justesse de ton, l'émotion, et l'ambition d'Eric Puchner sur le sujet.

Ed. Albin Michel, collection Terres d'Amérique, traduit de l'anglais (USA) par France Camus-Pichon, octobre 2018, 288 pages, 22.50€
Titre original : Last day on earth