mercredi 12 septembre 2018

Tenir jusqu'à l'aube, Carole Fives

On ne connaîtra le prénom de cette maman qu’à la fin, car elle incarne toutes ces mères célibataires, « solos » comme la société se complaît à les identifier, qui se débattent chaque jour à garder la tête hors de l’eau.


Carole Fives a fait le choix d’un roman court, coup de poing, anxiogène parfois pour la lectrice-maman que je suis tant on arrive à s’identifier à certaines situations. Car la fiction énoncée rejoint souvent notre réalité ou celle d’une personne de notre connaissance.

A l’heure d’internet et des réseaux sociaux (qui n’ont de social que le nom) la maman décrite par l’auteur reste seule avec ses interrogations une fois le clapet de l’ordinateur fermé. Alors, pour évacuer les problèmes quotidiens d’argent, de travail, mais aussi pour s'éloigner un instant de sa relation fusionnelle et difficile avec son petit garçon, elle fuit le cocon de son appartement pour un aparté dans la rue alors que son bébé de deux ans est censé dormir.

A chaque fois la culpabilité est présente, mais elle ne lâche pas ces errances sporadiques, toujours plus longues. Paradoxalement, elles incarnent une bouée de sauvetage. Sans elles, la jeune femme plongerait à coup sûr, d’ailleurs n’a-t-elle pas envisagé parfois le suicide ?
Doit-on pour autant faire d’elle une mère indigne puisqu’elle abandonne son fils seul dans l’appartement une fois qu’il est endormi ?
« Et l’enfant ?Il dort, il dort.Que peut-il faire d’autre ? »
Pourrait-être répété comme une litanie, un mantra. Plus les ennuis s’accumulent, plus ses sorties s’allongent pour abandonner cette vie finalement qu’elle a désirée d’abord mais qu’elle subit maintenant que le père de l’enfant est parti sans revenir tout en gardant un jeu de clés.

Au fil de la lecture, le lecteur se demande comment tout cela va terminer, si un drame ne se jouera pas au détour de la prochaine page. On désire aussi que la situation de cette héroïne du quotidien s’améliore : un contrat de travail pérenne, un amoureux, une place en crèche moins éloignée… Et si le salut se trouvait dans un nouveau logis ?

Tenir jusqu’à l’aube raconte l’histoire d’une maman qui s’octroie des moments de liberté, qui tire sur la corde pour ne pas sombrer. Mais elle est comme La chèvre de Monsieur Seguin, son comportement à un prix, une conséquence.
Carole Fives donne de la voix à une génération de mamans qu’on n’entend pas, qu’on juge sans savoir, et que la société a du mal à épauler. Son roman vous prend aux tripes et se lit d’une seule traite tant il est fort.

L’écriture, limpide, sans fioriture, se marie aux retranscriptions d’échanges sur des forums internet, dévoilant par ce biais l’ampleur de la situation décrite dans le récit.


(Cet article contient très peu de citations du texte pour la simple et bonne raison que cette lecture m’a submergée)


Ed. Gallimard, collection L'Arbalète, août 2018, 192 pages, 17€