On ne connaîtra le prénom de cette maman qu’à la fin, car elle incarne toutes ces mères célibataires, « solos » comme la société se complaît à les identifier, qui se débattent chaque jour à garder la tête hors de l’eau.
Carole Fives a fait le choix d’un roman court, coup de
poing, anxiogène parfois pour la lectrice-maman que je suis tant on arrive à
s’identifier à certaines situations. Car la fiction énoncée rejoint souvent
notre réalité ou celle d’une personne de notre connaissance.
A l’heure d’internet et des réseaux sociaux (qui n’ont de
social que le nom) la maman décrite par l’auteur reste seule avec ses
interrogations une fois le clapet de l’ordinateur fermé. Alors, pour évacuer
les problèmes quotidiens d’argent, de travail, mais aussi pour s'éloigner un instant de sa relation fusionnelle et difficile avec son petit garçon, elle fuit le
cocon de son appartement pour un aparté dans la rue alors que son bébé de deux
ans est censé dormir.
A chaque fois la culpabilité est présente, mais elle ne
lâche pas ces errances sporadiques, toujours plus longues.
Paradoxalement, elles incarnent une bouée de sauvetage. Sans elles, la jeune
femme plongerait à coup sûr, d’ailleurs n’a-t-elle pas envisagé parfois le
suicide ?
Doit-on pour autant faire d’elle une mère indigne
puisqu’elle abandonne son fils seul dans l’appartement une fois qu’il est
endormi ?
« Et l’enfant ?Il dort, il dort.Que peut-il faire d’autre ? »
Pourrait-être répété comme une litanie, un mantra. Plus
les ennuis s’accumulent, plus ses sorties s’allongent pour abandonner cette vie
finalement qu’elle a désirée d’abord mais qu’elle subit maintenant que le père
de l’enfant est parti sans revenir tout en gardant un jeu de clés.
Au fil de la lecture, le lecteur se demande comment tout
cela va terminer, si un drame ne se jouera pas au détour de la prochaine page.
On désire aussi que la situation de cette héroïne du quotidien
s’améliore : un contrat de travail pérenne, un amoureux, une place en
crèche moins éloignée… Et si le salut se trouvait dans un nouveau logis ?
Tenir
jusqu’à l’aube raconte l’histoire d’une maman qui s’octroie
des moments de liberté, qui tire sur la corde pour ne pas sombrer. Mais elle
est comme La chèvre de Monsieur Seguin,
son comportement à un prix, une conséquence.
Carole Fives donne de la voix à une génération de mamans
qu’on n’entend pas, qu’on juge sans savoir, et que la société a du mal à
épauler. Son roman vous prend aux tripes et se lit d’une seule traite tant il
est fort.
L’écriture, limpide, sans fioriture, se marie aux
retranscriptions d’échanges sur des forums internet, dévoilant par ce biais
l’ampleur de la situation décrite dans le récit.
(Cet
article contient très peu de citations du texte pour la simple et bonne raison
que cette lecture m’a submergée)
Ed. Gallimard, collection L'Arbalète, août 2018, 192 pages, 17€