lundi 17 septembre 2018

L'abattoir de verre, J.M Coetzee

Elizabeth Costello, femme écrivain indépendante déjà croisée dans l'oeuvre de Coetzee, vieillit et son rapport au monde et à son entourage se modifie. En sept nouvelles de qualité narrative égale, l'auteur pose les questions existentielles qui nous concernent tous lorsque le clap de fin approche.

Elizabeth se pose, écrit moins mais elle observe le monde avec un sens aigu de celle qui a vécue. C'est une femme solitaire qui s'est volontairement exilée en Australie alors que sa fille vit en France et son fils a fondé une famille aux Etats-Unis. Alors, lorsque ses enfants tentent de la rapprocher d'eux, elle comprend qu'elle a franchi la frontière entre une femme vieillissante et une vieille femme.
"La vérité c'est que tu es une vieille dame qui a besoin de soins".

Pourtant, Elizabeth reste un être farouchement indépendant. Sa solitude la fait rapprocher des animaux en général et de la condition animale en particulier. Comme elle, ils sont farouches et vivent le présent comme si c'était leur dernier moment. Elle aimerait tellement leur ressembler en ne ressentant pas ce glissement lent et certain vers le crépuscule ! Dans Le Chien, elle ne comprend pas les aboiements répétés et colériques du canidé derrière la barrière dès qu'elle passe devant chez lui à vélo. Active, elle veut imposer sa raison sur un comportement instinctif qu'elle ne comprend pas. Mais quelques années plus tard, son jugement sur les animaux évoluent. En Espagne où elle désire vivre ses dernières années elle se veut la protectrice des laissés pour compte, les chats errants entre autres (Le Mensonge) et pointer du doigt la cruauté humaine en désirant faire construire un abattoir de verre afin que tous puissent voir ce qu'on inflige aux bêtes (L'abattoir de verre)

Au soir de sa vie, Elizabeth voit son rapport au monde évoluer. Les expériences passées affluent, lui rappellent son âge.
« Tout ce que je vois, tout ce que je dis est frappé par le regard en arrière. Que me reste-t-il ? Je suis celle qui pleure »
Femme comblée avec un époux aimant, elle a vécu une aventure extraconjugale sans la moindre culpabilité, une Histoire parmi tant d'autres sauf que celle-ci elle l'a vécue et non écrite.
« Ce qui se passe entre eux n’a pas encore de nom. Quand ce sera fini, cela portera un nom : une aventure (…) Elle fait partie de mon passé, de ce que j’étais, de ce qui me fait, mais ne fait pas partie de moi-même. Il m’est arrivé d’être infidèle, mais tout est fini. A présent, je suis fidèle, je suis moi-même maintenant » (Histoire)
Elle était au centre des attentions, des regards; Au fil du temps, les regards à son passage se sont faits plus rare, signe de son déclin. Elle théorise sur l'énergie et le rapport au temps.
"L’énergie. Veux-tu connaître ma théorie sur l’énergie ? A mesure que nus prenons de l’âge, chaque partie de notre corps se détériore ou souffre d’entropie, jusqu’à la moindre cellule. Les vieilles cellules, même toujours saines, sont frappées par les couleurs de l’automne. Cela vaut aussi pour les cellules du cerveau : frapper par les couleurs de l’automne ». (Une femme en train de vieillir)
Alors, pourquoi ses enfants se choquent quand, dans un sursaut de vanité, elle décide de se maquiller, de s'apprêter afin qu'on la regarde une dernière fois ? (Vanité)
"Ce ne sera pas permanent, explique sa mère. Soyez-en rassurés, ce sera de courte durée. Je redeviendrai moi-même en temps voulu, à la fin de la saison. Mais je veux qu'on me regarde de nouveau. Juste encore une fois ou deux dans ma vie, je veux qu'on me regarde comme on regarde une femme. C'est tout. Juste un regard. Rien de plus. Je ne veux pas avoir effectuer ma sortie sans avoir vécu cette expérience".
Exister, ne pas devenir l'ombre de soi-même, continuer à avancer même si l'autonomie devient de plus en plus un exercice compliqué au quotidien. Mes enfant, ces inconnus, pense-t-elle tant ils veulent régenter la fin de sa vie alors qu'elle a soif de solitude et d'apaisement. Ne comprennent-ils pas qu'elle ne veut pas leur transmettre un souvenir dégradé de sa personne ? Elle, Elizabeth Costello restera jusqu'au bout ce qu'elle a toujours été. Une femme cultivée aux idées bien arrêtées, farouchement indépendante. Une femme à part en quelques sorte et c'est l'empreinte qu'elle veut laisser au monde quand elle s'éteindra.
« Elle a construit sa vie sur l’ambivalence. Où en serait l’art de la fiction s’il n’y avait aucun double sens ? Que serait la vie même s’il n’y avait que des têtes et des queues, sans rien au milieu » ? (Une femme en train de vieillir)

Ed. Seuil, août 2018, traduit de l'anglais (Afrique du sud) par Georges Lory, 180 pages, 18€
Titre original : Moral Tales