lundi 27 août 2018

La Neuvième heure, Alice McDermott

Sally a grandi au sein de la congrégation des Petites Sœurs des Pauvres Malades où sa mère travaille comme blanchisseuse depuis le suicide de son mari. C'est tout naturellement alors qu'elle croit avoir la vocation de vouer sa vie aux autres...


Sally a une vision optimiste de la foi, celle transmise par sœur Illuminata et sœur Jeanne qui l'ont en partie élevée. Avec sa mère Annie, il n'y a jamais eu de place à ce genre de conversation, d'ailleurs la jeune femme ne sait même pas comment son père a disparu ni comment les sœurs sont entrées dans leur vie. Son père Jim s'est suicidé alors qu'elle n'était encore qu'un embryon, et Annie a tout de suite été prise en charge et protégée par les sœurs du couvent situé dans leur quartier.

Soigner et s'occuper des pauvres voilà une bien belle façon d'occuper sa vie, croit Sally. N'est-on pas entouré de gens dans le besoin ou seuls à longueur de journées ? En cachette, Annie côtoie le laitier, Monsieur Costello, dont l'épouse grabataire vit recluse dans leur petit appartement. Si cette relation est un pêché qu'Annie ne compte pas renoncer, alors Sally expiera pour elle.
"La situation était claire : sa mère ne changerait pas. M. Costello était son chéri, et même les sœurs paraissaient impuissantes face à son insouciante détermination à le garder. Quelqu'un devait faire pénitence à sa place, pour le pêché auquel elle refusait de renoncer. Qui d'autre que sa fille, qui l'aimait par dessus-tout ?"

Seulement croire et aimer Dieu est une chose, mais mettre à l'épreuve ses croyances et ses certitudes en est une autre. Voilà pourquoi l'austère sœur infirmière décide de l'emmener avec elle dans ses tournées de soignante. Là, la jeune femme se rend compte qu'il existe un fossé flagrant entre sa vision de la foi tranquille et priée à heures fixes, et celle qui vous pousse à vous remettre constamment en cause. Aider les gens indigents n'est pas une sinécure. Et si sa vie n'était pas finalement dans le choix de fonder une famille et de vieillir avec eux, unis ?

La Neuvième heure est un des moments de prières qui ponctuent la journée d'une religieuse. Située vers 15 heures, elle est une pause dans les travaux des sœurs au couvent. C'est dans ce contexte qu'Alice McDermott a situé son nouveau roman, désireuse de faire de ces femmes vouées à une vie de prières et d'abnégation, les véritables héroïnes. En effet, ces dernières ont abandonné une vie, une histoire, une famille pour se consacrer aux autres et n'ont pas pour autant laissé de côté leurs souvenirs.
"Aucune des sœurs, à cette époque, ne parlait de sa vie avant le couvent, dans ce monde qu'elles appelaient dédaigneusement le monde. Prononcer ses vœux signifiait laisser tout le reste derrière soi : la jeunesse, la famille et les amis, tout l'amour qui n'était qu'individuel, tout ce qui dans l'existence nécessitait un regard en arrière. La coiffe blanche qu'elles portaient comme des œillères faisait plus que limiter leur vision périphérique. Elles rappelaient aux sœurs qu'elles devaient regarder uniquement leur tâche en cours."
Chaque jour est une mise à l'épreuve de leur foi. Dans ce quartier de Brooklyn, leurs silhouettes sont rassurantes et respectées. Elles veillent au bien être des femmes et des enfants.
Sally est le grain de sable. Serait-ce un sacrifice si elle consacrait sa vie à Dieu, ou une merveilleuse nouvelle ? Et le tour de force de ce roman est de nous proposer des personnages pieux avec une profondeur psychologique, lucides de leur sort et soucieuse du bonheur d'autrui.
Grand succès outre atlantique, La Neuvième heure est un roman touchant, pragmatique, dans lequel les questions de foi se mélangent aux soucis du quotidien et resitue le noyau familial au cœur de tout.


Ed. La Table Ronde, collection Quai Voltaire, traduit de l'anglais (USA) par Cécile Arnaud, août 2018, 288 pages, 22.50€
Titre original : The Ninth Hour