"Effectivement, il n'avait aucun interlocuteur, personne à qui s'adresser ne fût-ce qu'une parole de la journée. Et même s'il ne se sentait pas triste, quelque chose en lui se trouvait triste, c'était indubitable".Il peut rester des jours sans adresser la parole à quelqu'un tout occupé à écrire un roman ou le terminer. Le dernier en date a pour héros un écrivain qui lui ressemble étrangement directement inspiré aussi d'un collègue, au point qu'à la fin de son roman, il se rend compte que la réalité s'est invitée dans la fiction : alors qu'il a appelé son personnage principal Kodama, il lui a substitué sans s'en rendre compte le substantif de Kojima, soit le véritable nom de son collègue écrivain.
"Le personnage de son roman était donc écrivain, un écrivain au parcours très semblable au sien... Depuis qu'il était né, il n'avait jamais éprouvé d'amour pour quiconque, hormis pour sa propre personne. Le monde n'est qu'un grand n'importe quoi de bout en bout, voilà le nihilisme sous-jacent qui parcourait son oeuvre".Kodama meurt à la fin du roman, c'est un choix de Mizuno. Et si, pour remplir de nouveaux feuillets et ainsi se remplir ses poches désespérément vides d'argent, il écrivait un nouveau roman dans lequel ce serait l'écrivain qui tuait pour de vrai son héros ?
Mizuno n'en doute pas , son idée est exceptionnelle, et pour mieux la décrire autant la mettre vraiment à exécution dans la vraie vie. Le voilà donc sur les traces de Kojima à fomenter des plans d'assassinat. Sur son chemin, il rencontre une jeune fille occidentale, une prostituée allemande, avec qui il noue une relation tarifée et codifiée. Dans sa tête, cette nouvelle maîtresse à jours fixes lui servira d'alibi. Seulement voilà, Kojima est retrouvé mort avant d'avoir mis ses plans à exécution...
Noir sur blanc propose une mise en abyme intelligente : le lecteur entre dans le nouveau roman en cours de Mizuno au point que réalité et fiction se confondent plus d'une fois. Tanizaki s'est amusé à faire de son personnage principal un double au caractère sombre, déviant, et souvent diabolique, pris au piège de sa propre imposture. On ne peut que saluer l'inventivité de ce roman, évocation littéraire de l'expression populaire du "tel est pris qui croyait prendre".
Ed. Picquier, mai 2018, traduit du japonais par Ryoko Sekiguchi et Patrick Honnoré, 304 pages, 19.50€
Titre original : Kokubyaku