lundi 19 mars 2018

Un Emploi sur mesure, Sven Hansen-Love

Après le décès de son père, Raphaël décide de revenir sur Paris. Cet homme solitaire y trouve rapidement un emploi étrange de surveillance.


Peu de choses suffisent à emplir la vie de Raphaël : la littérature d'un écrivain obscur polonais, Zaleski, dont il est devenu un spécialiste, la musique d'un certain Sibelius, les mœurs des opossums et l'amitié d'Armand, un parisien obnubilé par son chat. Assez solitaire de nature, c'est tout naturellement qu'il appréhende son nouvel emploi ; il s'agit pour lui de surveiller ou prendre en filature des personnes précises que sa supérieure, une certaine Olivia, lui précisera.
Raphaël est donc employé par une entreprise qui ressemble étrangement à une entité des services secrets, et son patron - toujours invisible- est un certain Semprun.
Alors Raphaël surveille sans savoir pourquoi la famille Brun-Lambert dont l'appartement est truffé de caméras, ainsi qu'une pharmacie parisienne dont les employés semblent faire du trafic de médicaments périmés. Dans le même temps, il entame une relation avec Olivia qui s'avère très vite être une femme complexe et torturée psychiquement, incapable de se fixer sur le long terme.
"Ce moment a aussi tiré un volet de trouble et d'anxiété sur ma vie. C'est une évolution que j'avais déjà pressentie, confirmée désormais. Une brume épaisse et toxique envahit mon quotidien. La peur, sous toutes ses formes, s'est installée et, je le crains, pour longtemps".

Au fil de la lecture, on s'aperçoit que le personnage principal est pour le moins aussi étrange que ceux qu'ils surveillent. Et si lui aussi était l'objet d'une surveillance ? Son mode de vie routinier, sa passion pour les psychotropes et les somnifères laissent penser que Raphaël est un personnage tourmenté.
"Je me sens abattu.
Je suis la personne au monde la moins digne d'être prise en filature. Je n'ai pas le souvenir de quiconque s'intéressant à moi. Moi-même, en dehors de l'oeuvre poétique et romanesque de l'écrivain polonais Piotr Zaleski, ainsi qu'une passion inexplicable pour les opposums d'Australie, je ne me suis intéressé à rien".
D'ailleurs, par la suite, il voue un intérêt soudain pour les écrits de Maupassant, notamment la nouvelle La Nuit qui décrit les errances d'un hommes dans les rues de Paris la nuit.
"Il est devenu un leitmotiv dans ma vie. De toute évidence il fait écho à des névroses très anciennes. Je m'identifie au narrateur, le noctambule parisien égaré dans la capitale, qui finit par songer à se suicider - du moins, c'est ainsi que j'interprète son dénouement".
Raphaël a trouvé un emploi sur mesure pour lui, et finalement, à travers le labyrinthe de sa personnalité plus complexe qu'il n'y parait au premier abord, l'auteur distille des indices permettant de tirer au clair le récit comme par exemple sa passion pour Zaleski, écrivain radical inconnu dont on soupçonne des actions d'espionnage et avec qui Raphaël trouve des accointances : "Elle doit faire écho à ma propre personnalité".

Construit en trois parties, Un Emploi sur mesure est un premier roman ambitieux qui promène le lecteur au fil des indices et des fausses pistes. Et on se prend au jeu facilement grâce à une écriture fluide et à l'attrait du personnage de Raphaël plus vraisemblable que nature, symbole de l'ultra moderne solitude vécue dans les grandes villes.

Ed. Seuil, Collection Cadre Rouge, 368 pages, 19.50 €