Roman sur la jeunesse désenchantée, Ecoute la ville tomber raconte comment celle-ci tente de vivre intensément malgré les rêves d'avenir et les difficultés au quotidien dans un Londres qui vous tient entre ses griffes...
"No country for old men" a-t-on envie de dire en conclusion de ce roman foisonnant mettant en scène quatre jeunes londoniens ayant chacun en tête un projet à accomplir, mais obligés de composer avec la ville et les aléas du quotidien pour pouvoir se construire un avenir à leur mesure. Ils ont en commun une structure familiale bancale où l'un des deux parents a vite pris la poudre d'escampette ou renoncé à sa part d'éducation, broyé souvent par le système.
"Alors Becky fit ce que font tous les ados quand ils sont entourés d'adultes qui disjonctent : elle prit la tangente".De cette absence, Becky, Pete, Harry (c'est une fille) et Leon ont su en tirer une force qui fait que, en âge de s'envoler de leurs propres ailes, il savent déjà qu'ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. S'ils ne réussissent pas, la ville les regardera tomber sans ciller.
"La ville baille, fait craquer ses phalanges. Regarde quelques pauvres âmes sombrer, par sa faute dans la spirale de la folie : une fille fouille de ses mains glacées une benne dans laquelle elle cherche des canalisations en cuivre, une autre est chez elle, elle lit".Becky aimerait être danseuse professionnelle, mais avec un père en prison et une mère partie en Amérique, elle paye ses cours en servant dans le bar de son oncle lié à de sombres affaires de stupéfiants, et en proposant des massages. Danser lui permet d'oublier qu'elle vieillit et que son corps refusera un jour d'être élastique, jour noir qui lui fermera définitivement les portes des compagnies professionnelles. Son petit ami Pete ne comprend pas pourquoi Becky met tant d'entrain à vouloir réussir. Promis à un bel avenir professionnel, il a tout laissé tomber par conviction, assimilant toute forme de travail à de l'esclavage. Alors, il vit d'allocations et quand il peut, échappe de sa condition en se droguant. Pourtant, il ne sait pas que sa soeur Harriet, alias Harry, deale pour des célébrités. Avec son ami d'enfance Leon, ils ont monté une affaire leur permettant de revendre en toute tranquillité de la drogue à des personnes en vue. Ils détestent ce travail mais tiennent en se disant qu'il leur permettra de mettre un maximum d'argent de côté pour enfin quitter Londres et les Royaume-Uni, car l'avenir ici n'a pas de place pour eux sont-ils persuadés.
"Leon n'avait jamais considéré la vie sous cet angle. Moche ou sublime, souvent les deux à la fois, oui - médiocre, jamais. Chaque phénomène, même le plus infime, doit être contemplé, soupesé, savouré, et on doit toujours se battre, soit pour, soit contre".
Lors d'une soirée de travail, Harry rencontre Becky. C'est le coup de foudre. Harry ne sait pas encore qu'elle est la petite amie de son frère. Becky lui fait entrevoir la possibilité d'une vie en rose avec quelqu'un à aimer et à protéger. En plus, elle sent qu'il va falloir qu'elle prévienne bientôt son fournisseur qu'elle jette l'éponge. Seulement, une dernière affaire fait tout basculer, touchant de près ou de loin les quatre protagonistes...
"Elle sent le danger qui l'encercle. Visualise des collisions frontales".
Dès le début du roman on sait qu'il s'est passé un événement grave qui provoque la fuite de Becky, Leon et Harry. Ainsi, la présentation des protagonistes se fait dans un moment de tension extrême où ils vont devoir prendre des décisions lourdes de conséquence.
Dans ce roman, Kate Tempest démontre que les apparences sont trompeuses : on pourrait penser que cette jeunesse est perdue, qu'elle est dépravée, sans foi ni loi. Au contraire, elle utilise ce que la ville et ses travers lui offrent pour se projeter vers l'avenir. Au premier abord les personnages peuvent nous sembler cyniques mais très vite ce cynisme est un mur de protection, une coquille. Les rêves, les espoirs et l'envie de vivre intensément demeurent.
Ecoute la ville tomber n'est pas seulement le roman d'une génération, il est celui aussi de toute une société qui se sent broyée par la vie citadine et galère à réaliser ses rêves. Présentée comme un phénomène de société dans son pays, Kate Tempest est le porte-parole de cette jeunesse décrite dans le roman. elle leur donne de la voix par le biais de la littérature ; qu'elle continue ainsi, son talent est réel.
Titre original : The Ricks that built the houses, traduit de l'anglais (GB) par Madeleine Nasalik, janvier 2018, 400 pages, 22,50 €