mercredi 25 octobre 2017

Cette Lumière que je vois , Sofie Laguna

Ed. Actes Sud, octobre 2017, traduit de l'anglais (Australie) Par France Camus Pichon, 368 pages, 22.80€
Titre original : The Eye of The Sheep


A travers les yeux et le ressenti du petit Jimmy atteint de TED (Troubles Envahissants du Développement) c'est le récit d'une famille en souffrance.


Jimmy vit en symbiose avec sa mère Paula. Elle est son référent, son rempart. D'ailleurs n'a t-elle pas grossi jusqu'à ne plus pouvoir passer la porte depuis la naissance du petit ? Paula veille sur Jimmy, le comprend, et surtout garde patience quand les autres n'en ont plus. Car son petit garçon est différent : il est solitaire, répète les phrases, répond rarement aux questions qu'on lui pose, et adore tourner en rond dans le jardin en simulant une course. Le mot n'est jamais prononcé mais le lecteur comprend vite que le narrateur est atteint de TED. A défaut de vivre sa vie avec des émotions - il est incapable de pleurer - il enregistre ce qu'il vit à travers des connexions, des odeurs, des sensations. Ces interactions là lui permettent d'avancer et de grandir.
"Bêcher me calmait : comme les roues d'un vélo, mes cellules s'arrêtaient de tourner. J'entendais mon air entrer et sortir de mes poumons, chaque inspiration égale à chaque expiration".
Paula et son fil aîné Robby se protègent comme ils peuvent de Gavin le père. Ce dernier, perdu par le comportement étrange de son cadet, noie son désarroi et sa culpabilité dans l'alcool et se défoule sur Paula.
Nous sommes dans les années 80, et même si le médecin de famille tente de rendre la maman à l'évidence, Paula refuse tout placement de son garçon en institution et s'évertue à lui faire suivre une scolarité normale où il est mis systématiquement de côté. Parfois, Gavin tente bien d'être proche de son fils mais Jimmy n'est pas réceptif à ce genre de démarche....

Gavin quitte aussi la demeure familiale sans laisser d'adresse, après le départ de Robby, lassé de la violence de son père et de la soumission de sa mère. Paula et Jimmy entament ensemble une nouvelle vie, se coupant peu à peu des autres. La mère se réfugie dans les sucreries, sombre dans la dépression et ne soigne pas son asthme, tandis que Jimmy est livré à lui-même. Or, sans sa mère et le reste de sa famille, comment Jimmy peut-il continuer à grandir ?
"Comment Robby pouvait-il être si grand, tout en longueur, les yeux dans le vague, alors que moi j'en étais toujours au même point ? J'avais onze ans, et en même temps non. Comment des choses contradictoires pouvaient-elles être vraies".

Cette lumière que je vois est un roman troublant à plus d'un titre car il décrit les troubles autistiques de l'intérieur et les descriptions sont criantes de vraisemblance. Faire de Jimmy le narrateur est un tour de force car il porte le roman à bout de bras et donne une vision tout à fait unique et originale de ce qu'il vit, de ce qu'il ressent et perçoit. Plus largement, Sofie Laguna explique toute la détresse et l'incompréhension d'une famille confrontée à l'autisme et à sa gestion au quotidien. Ainsi, ce livre est aussi le récit de la rédemption d'un père abîmé et mal aimant en faveur d'un fils seul et ne possédant pas les armes pour exprimer son amour.
"Je regrettais de n'avoir pas de mode d'emploi pour les larmes ; je suivais attentivement les consignes, point par point, à la lettre, jusqu'à pleurer assez de larmes pour remplir le plateau d'un pick up".
Autour de Jimmy, le monde est rétréci mais il prend un aspect insoupçonné. Il est un vaste mode d'emploi dont il s'agit de décortiquer jour après jour chaque mécanisme afin de mieux l'appréhender. C'est la voie royale pour enfin ressentir des émotions.

Ainsi, de par sa profondeur, sa grande humanité et la lucidité des propos, Cette lumière que je vois est un roman unique, différent mais terriblement attachant, comme son petit héros.