Eveything is broken est inspiré d'une chanson éponyme du Nobel Bob Dylan, mais c'est surtout l'histoire d'Erica, au bout du rouleau, et de son fils Jimmy qui revient dans le giron familial, et qui ne va pas bien non plus.
A Brooklyn, Erica n'en peut plus. Depuis le décès de son mari Eddy d'une tumeur au cerveau, la vie ressemble à un tunnel sans issue. Non seulement elle doit gérer son vieux père tyrannique qui se remet mal d'une pneumonie, mais en plus elle ne peut compter sur personne, sa sœur fuyant les responsabilités, et son fils parti au Texas sans donner de nouvelles.
C'est au travail qu'Erica souffle un peu et trouve de la compassion. Ses collègues la soutiennent et lui disent que sa situation personnelle ne peut plus durer comme cela longtemps. Si seulement elle avait des nouvelles de Jimmy ! Il est parti sur un coup de tête, ne supportant plus la méchanceté de son père à propos de son homosexualité. Il était absent aux funérailles de ce dernier, mais aussi à ceux de sa sa grand-mère. Pour Erica, un fils unique ne doit pas abandonner sa mère, mais en même temps un sentiment de culpabilité commence à poindre en elle : n'a-t-elle pas laisser pourrir la situation entre Eddy et son fils ?
"C'était plus fort qu'elle, elle se repassait sans cesse le film de sa vie. Probablement parce qu'elle craignait tellement de mourir. Elle craignait de n'être plus qu'un nom que Jimmy oublierait de prononcer. Elle craignait de ne trouver rien d'autre que le néant. Toutes ces prières revenait à jeter des miettes de pain pour des oiseaux inexistants. Si on réfléchissait bien, que ne fallait-il pas craindre ? L'émerveillement, elle ne l'avait connu que dans son enfance".
De son côté, Jimmy subit son existence ; il squatte à droite à gauche, vit aux crochets de ses amis, boit à en perdre toute lucidité. C'est parce qu'il n'a plus un sou en poche, qu'il s'est fait largué, et qu'il est dans un état physique pitoyable, que le jeune homme décide de revenir chez sa mère. Il vit son retour comme un échec et une inaptitude chronique de se prendre en charge. Il la retrouve au bout du rouleau et un grand-père affaibli. Erica est ravie de revoir Jimmy mais ne sait plus comment s'y prendre avec lui. De son côté, le fils hurle à l'intérieur ; il ne sait pas comment il va supporter le quotidien. Un seul leitmotiv : fuir, fuir, fuir...
Dans un bar, il fait la rencontre de Franck, aussi volubile qu'il est silencieux, aussi extraverti qu'il est discret. Très vite, Franck prend les choses en main et voit en Jimmy un gars lettré et cultivé qui a peur de donner son avis. Il n'hésite pas à se présenter chez Erica, et fait tampon entre la mère et le fils qui n'arrivent toujours pas à communiquer. L'arrivée d'une tiers personne inconnue dans le foyer laisse Erica perplexe et curieuse à la fois car il a tout de suite saisi la situation, et mine de rien, ses réflexions et son savoir vivre font mouche.
En fait, Erica et Jimmy ont besoin d'une aide extérieure pour réapprendre à apprécier les petits bonheurs du quotidien et faire table rase des erreurs du passé...
"- Tu es obligé de montrer autant de dédain chaque fois que je parle ?
Jimmy ne répondit pas.
- J'aime bien ton ami, dit Erica".
- Je le connais à peine, dit Jimmy.
- Il est étrange. Mais de manière positive.
- Tout est probablement étrange pour toi, surtout ce qui est intéressant.
- Pas besoin de m'attaquer.
- Je ne t'attaque pas.
- Dis-moi ce que tu as contre moi.
- Et voilà, c'est parti.
- Dis-le moi.
- Je n'ai rien contre toi. On est différents, c'est tout. Je n'ai rien à voir avec cet endroit.Tout est brisé est une chronique douce-amère des aléas de la vie, de ceux qui triment chaque jour pour garder la tête hors de l'eau sans aucune perspective de jour meilleur. On pourrait presque dire que le roman est une chronique de la survie, non pas dans le sens de survivalisme, mais dans celui de la middle class américaine prise de plein fouet dans la crise et qui depuis, fait ce qu'elle peut pour garder le peu qu'elle possède.
Erica incarne la femme courageuse, promis à un bel avenir avec un premier amoureux, et qui l'a vu s'effilocher au fur et à mesure des déconvenues. Désormais, son seul espoir réside en son fils unique, lui-même dans un piteux état. Trop fragile, pas assez sûr de lui, et envahi par un profond mal de vivre, il n'incarne pas la béquille sur laquelle Erica pourra se reposer de temps en temps. La vie les abîme tous les deux et ils sont incapable de s'unir pour mieux la supporter.
Willima Boyle n'est jamais dans le pathos, néanmoins ses lignes sont d'une profonde humanité. On sent qu'il aime ses personnages et ses réflexions sonnent toujours juste au point que le lecteur peut s'y retrouver. Peut-être incarne-t-il ce Franck tout à coup soucieux de créer du lien entre la mère et le fils, parenthèse amicale et douce dans ce monde qui ne fait pas de cadeau.
Ed. Gallmeister, septembre 2017, collection Americana, traduit de l'anglais (USA) par Simon Baril, 210 pages, 22.50 euros.
Titre original :Everything is broken
Titre original :Everything is broken