mercredi 5 juillet 2017

Murmures dans un mégaphone, Rachel Elliott

Ed. Rivages, traduit de l'anglais (GB) par Mathilde Bach, avril 2016, 364 pages, 21 euros.

Vivre et crier


"Je ne sais pas ce qu'il y a de plus terrifiant se dit-elle - de se croire seule au monde ou de découvrir qu'on ne l'est pas".

Cela fait trois années que Miriam Delauney n'est pas sortie de chez elle. Elle vit seule dans la maison héritée de sa mère Frances, qu'elle entretient de façon obsessionnelle. Ses seuls liens avec l'extérieur sont son voisin Boo qui lui rend quelques services manuels, et son amie Fenella :
"Elle est un phare de santé, dans la nuit de la folie, perpétuellement lumineuse, imperturbablement stoïque. Elle est la preuve vivante qu'il existe des gens raisonnables, rationnels et cohérents. Mais surtout, elle est la preuve vivante que Miriam n'est pas contagieuse. La folie de sa mère est inscrite dans son sang et ses os - forcément, non ?"

Miriam a eu une enfance chaotique, luttant sans cesse à ne pas ressembler à sa mère toxique et folle. De son père, elle ne sait rien, tout juste de vagues souvenirs. Pour survivre aux sottes d'humeurs, elle a appris à murmurer, à se faire oublier, bref à devenir invisible. A trente -cinq ans maintenant, Miriam murmure toujours et a gardé cette certitude que personne ne peut s'intéresser à elle :
"Imagine une femme descendant en rappel le long d'une falaise. Lorsqu'elle lève les yeux vers celui qui tient la corde, elle voit qu'il n'y a personne. A ce moment-là, à mi-chemin entre le sol et le sommet, elle comprend que c'est l'histoire de sa vie. elle n'a jamais été seule mais il n'y a jamais eu personne".

Trois années cloîtrée à regarder des séries, c'est long. Miriam décide enfin de sortir, histoire de renouer avec l'extérieur et affronter les autres. Ses pas l'entraînent vers le bois où elle fait la connaissance de Ralph, réfugié là lui aussi, depuis le fiasco de sa fête d'anniversaire organisée par son épouse Sadie, qu'il a retrouvée enfermée dans le placard avec une autre femme. Lui qui passe son temps à écouter les problèmes des gens (il est thérapeute de profession), n'a pas su trouver les mots pour communiquer avec son épouse en proie à ses pulsions homosexuelles, et ses jumeaux qu'ils le considèrent plus ou moins comme un étranger. La fuite, sur l'instant, n' a été pour lui que la seule possibilité afin de méditer tranquillement sur son couple et son rôle de père.

Miriam et Ralph vont nouer une amitié simple et essentielle dans laquelle chacun va aider l'autre à refaire surface et affronter ses démons. Grâce à Miriam, Ralph va comprendre que la faille est en lui et non pas à l'extérieur de lui, comme il le croyait. il va éprouver le besoin de retrouver les siens pour régler ses problèmes. Grâce à Ralph, Miriam va prendre de l'assurance, acquérir la certitude qu'elle n'est pas sa mère, et se débarrasser de ses peurs, "c'est ce que j'ai ressenti toute ma vie, cachée quand j'aurais voulu qu'on me voie, visible quand j'aurais eu besoin de me cacher". Car Miriam n'est plus seule désormais ; le vide créé jadis par Frances se fragmente, et la jeune femme va se retrouver entourée et aimée :
"Les disparus sont de retour, Miriam ignorait juste qu'ils avaient disparu. Son chagrin était un mystère - un poème absurde, qui lui faisait ployer l'âme".

Murmures dans un mégaphone est un premier roman qui sonne juste tant les sentiments et les émotions véhiculés sont vraisemblables et touchent tout le monde. Rachel Elliott a écrit un récit sur la vacuité de l'existence, sur le sentiment soudain qui nous envahit de la non-appartenance, et sur le besoin irrépressible de faire le point sur sa vie.
Pourtant, on n'est jamais dans la sinistrose, car l'humour est le moteur de la narration. Miriam est perdue mais elle a le sens de la répartie. De plus, les personnages secondaires sont gentiment cinglés, extravagants ou désorientés, mais ils possèdent en eux une part d'humanité assez grande pour plusieurs personnes.
Rachel Elliott, à travers ce roman, explique qu'on peut guérir de tout, même si on part de loin, même si  on pense être invisible aux yeux des autres, même si on n' a jamais encore connu l'amour, même si enfin nos parents ne nous ont pas donnés les clés pour devenir adulte.
Mumures dans un mégaphone est une vraie rencontre littéraire, impeccablement traduit (merci à Mathilde Bach), truffé de bons mots,  de répliques qui font mouche, avec, en filigrane, l'impression de lire la vie, tout simplement.