vendredi 7 avril 2017

A Coups de pelle, Cynan Jones

Ed. Joëlle Losfeld, mars 2017, traduit de l'anglais (Pays de Galles) par Mona de Pracontal, 168 pages, 16.5 euros.
Titre original : The Dig

Depuis le décès accidentel de sa femme, Daniel, agriculteur et éleveur de moutons, fait son travail machinalement. Les mêmes gestes, les mêmes soins apportés aux brebis lors de l'agnelage lui permettent de ne pas sombrer. Sauf que tout lui rappelle celle qui partageait sa vie.
"Ils s'étaient absorbés l'un dans l'autre et dans cette petite ferme modeste au rythme régulier qu'ils avaient créé, et tant qu'ils pouvaient la faire tourner, ça leur suffisait.
Il ne voyait plus cela maintenant, à travers le voile opaque du travail. Tout ce qu'il pouvait voir, maintenant, c'était une machine qu'il devait maintenir en fonctionnement sans quoi elle se gripperait, et il s'y attelait avec acharnement comme s'il n'avait pas plus conscience qu'un des rouages du mécanisme".
Daniel est un tendre. Il aime naturellement la nature et les animaux. Pour lui, la mise à mort n'est pas une chose anodine ; elle se fait en dernier recours si toutes les solutions ont été épuisées. D'ailleurs, à cause de cela, il a arrêté de chasser. Pourtant, sa solitude ranime en lui des pulsions de mort : à quoi bon vivre quand plus rien ne vous retient ?
"Il faut que je m'en sorte, dit-il. C'est plus facile si je ne vois personne. Il faut que je m'en sorte, c'est tout. Peu importe comment je vais" 
(...)
"Il voulait le coup final. Il restait en lui juste un peu de quelque chose qui le faisait tenir, et il éprouvait très fortement le désir d'en être vidé, de subir un choc insurmontable qui lui permettrait de se coucher". 

Sur les routes autour de la ferme, il n'est pas rare de croiser le cadavre gisant d'un blaireau. Pourtant, cette race se terre, mais depuis quelques temps, force est de constater qu'ils sont nombreux à mourir écrasés. s'ils sortent, c'est parce que le Gitan, un grand homme les chasse, les piège puis les livres aux chiens lors de combats illégaux.
"C'était un gars grand et bourru et quand il sortit de la camionnette, elle se souleva avec le soulagement d'un enfant qui a eu peur, un instant, qu'on le frappe. Partout où il allait, il apportait avec lui quelque chose de nocif et même les objets inanimés semblaient le savoir. Ils le craignaient à leur façon".
Daniel, comme tout le monde alentours, connaît cet homme déjà emprisonné pour des faits de violence. Il vit dans une ferme délabrée et remplie de ferrailles, avec ses chiens qu'il a dressés pour tuer. Cet homme cruel et violent achève les animaux à coups de pelle.
Quand Daniel le croise près de chez lui, il sent que la violence est à sa porte. La contrer c'est encore croire à sa part d'humanité et à un retour à la paix après le deuil...

Cynan Jones livre un roman engagé, court mais très dense, essentiellement tourné sur le profil psychologique des deux personnages que tout oppose. L'ambiance est sombre car le deuil ou la cruauté faite aux animaux  est omniprésence. Néanmoins, grâce à Daniel, le lecteur entre dans la lumière. Il incarne simplement un homme qui se bat contre l’inadmissible, qui tente de reprendre sa vie en main, en apprivoisant le manque de l'autre au quotidien.
"Il était impossible qu'elle soit morte parce que ses sentiments pour elle n'avaient pas du tout diminué. C'est la capacité d'une personne à faire naître en nous une réaction qui nous donne une relation avec elle, et tant qu'elle le fait elle a quelque chose de vivant".
 Le Gitan symbolise la part d'ombre de tout être humain. Il est le Hyde que chacun refoule au plus profond de son être.
Leur confrontation est en quelque sorte inéluctable. Le grand homme est l'incarnation de la Mort et Daniel doit la vaincre pour survivre.
A Coups de pelle est le récit de l'affrontement qui approche.