Titre original : Kyonen no Fuyu, Kimi to Wakare
Troisième roman traduit de l'auteur, après Pickpocket et Revolver, et certainement le plus déroutant par son intrigue et l'ambiance malsaine qui s'en dégagent.
Du fond de sa cellule, le photographe Kiharazaka Katani écrit à sa sœur Akari. Il est condamné à mort pour le meurtre de deux femmes dont il a brûlé les corps. Pourtant, il ne cherche pas à se déculpabiliser, car il se sent "une coquille vide " incapable d'émotion et d'empathie.
"Tu te souviens de la première fois où j'ai eu un appareil photo ?Du point de vue de l'ordre social, c'était peut-être la pire des rencontres. Un appareil photo et moi. Mais, pour moi, cet appareil photo, c'était tout. Au pied de la lettre, absolument tout. Parce qu'à travers l'objectif, je me connectais au monde".
Dans le même temps, un journaliste lui rend visite, intrigué à la fois par le personnage qu'il incarne - froid et distant - , que par son talent photographique. Car avant d'être un meurtrier, Katani avait un talent reconnu, même si une impression malsaine se dégageait incontestablement de ses œuvres.
"Et puisqu'on l'immortalise, la photographie qu'on en tire peut être considérée comme une duplication du réel... (...) L'art est une forme de dévoilement".
"Il a tenté de prendre des photos qui ne devaient pas être. Comme moi. Il a essayé de pénétrer un domaine dans lequel il est interdit de s'aventurer".
Akari était son modèle préféré. Depuis le plus jeune âge, il entretient avec elle une relation fusionnelle à la limite de l'inceste. En grandissant, elle aussi a développé des tendances déviantes, décidant que les hommes seraient à la fois des objets sexuels et des pantins à punir indéfiniment.
Au cours de son enquête, le journaliste entre dans l'univers de la fratrie qui se révèle bien glauque. Il rencontre un créateur de poupées grandeur nature qui peuvent ressembler à votre compagne disparue, des adeptes du groupe K, groupe underground de photographes avec sous-entendus sexuels, des connaissances du condamné, et enfin Akari elle-même avec qui il entame un jeu érotique qui le mènera trop loin.
Car, malgré la condamnation, la vérité n'a pas été faite, et elle s'avère bien plus complexe que cela. Jeux de faux-semblant et de miroirs, manipulation depuis la cellule, échanges de corps et de personnes, Nakamura Fuminori propose une intrigue retors qui plonge le lecteur dans les méandres de deux âmes très tourmentées à qui on n'a jamais inculqué de limites. L'auteur reprend certaines ficelles du roman gothique et du polar pour poser durablement une ambiance malsaine, dérangeante, qui flirte sans cesse avec la mort. La photographie avec Katani devient un art qui scrute le véritable moi des personnages.
L'Hiver dernier, je me suis séparé de toi est incontestablement le roman le plus torturé de l'auteur, mais témoigne à lui seul d'une très grande maîtrise narrative. Heureusement, la structure en chapitres courts et la choralité affichée permettent au lecteur de reprendre son souffle.