jeudi 5 janvier 2017

Dans la forêt, Jean Hegland

Ed. Gallmeister, janvier 2016, collection Nature Writing, traduit de l'anglais (USA) par Josette Chicheportiche, 304 pages, 23.50 euros.
Titre original : Into the forest

Ecrit en 1996 et seulement traduit pour cette rentrée littéraire de janvier, ce roman américain post apocalyptique raconte la survie au quotidien de deux sœurs dans leur maison isolée au fin fond de la forêt.

Encore un roman post apocalyptique me direz-vous, à croire que la littérature générale flirte dangereusement avec les thèmes de prédilection qui font le succès de la littérature jeunesse adolescente. Seulement Dans la forêt a été écrit en 1996, et à cette date, le thème n'était pas encore très porteur. De plus, ce roman est intéressant dans le sens où les deux sœurs se raccrochent à des lambeaux de leur vie passée pour ne pas sombrer.
A peine  après avoir enterré leur mère, Nell, Eva, la vingtaine, et leur père constatent que la ville dans laquelle ils ont l'habitude de se  ravitailler chaque quinzaine, est en train de vaciller. Depuis quelques temps, les coupures de courant deviennent régulières, les magasins et les stations essence peinent à se réapprovisionner. Quand le père revient du travail en annonçant que l'école où il exerce est fermée, la petite famille comprend que leur monde s'effondre. A force de pragmatisme et d'organisation, ils réussissent à s'organiser pour vivre en complète autonomie et attendre le retour naturel des choses. Sauf que Nell et Eva vont devoir affronter seules cette attente interminable après la disparition accidentelle de leur père. Elles choisissent de  continuer à vivre au jour le jour en se raccrochant à ce qu'était leur vie avant les événements. Eva préparait le concours d'entrée au Ballet de San Francisco, et Nell envisageait de suivre des études à Harvard. Désormais, Eva passe ses journées à danser et à répéter ses pas, sans musique, tandis que Nell noie sa solitude dans la lecture de l'Encyclopédie dans l'ordre alphabétique.

La forêt les protège mais ne les informe pas de ce qui se passe vraiment de l'autre côté. Au delà des arbres, c'est l’inconnu. Les filles pourraient vivre longtemps ainsi, mais plus le temps passe, plus elles sentent que le danger se rapproche inexorablement. Et puis, plus aucun avion ne vole au-dessus d'eux, le courant ne revient pas, aucun signe que la civilisation réapparaît. Quand un jour, leur ami Ely vient à leur rencontre, elles comprennent que tous leurs espoirs sont vains. Une rumeur dit bien que du côté de Boston un noyau de gouvernement s'organise mais aucune preuve tangible ne vient étayer ces suppositions. Partir avec Ely oui, peut-être mais c'est aller droit vers tout ce que Nell et Eva redoutent. Car, même si leur nouvelle vie ne ressemble plus en rien à ce qu'elles ont connu jadis, la forêt leur apporte nourriture, chauffage et protection. Et quand elles se disputent, chacune peut, à sa guise, s'isoler un temps de l'autre.
Or, quand on la vingtaine, des idées bien arrêtées dans la tête, peut-on encore accepter de grandir de cette façon ?

Quand on a lu plusieurs romans de ce type, la trame de Dans la forêt est cousue de fil blanc. Seulement, l'intérêt romanesque est ailleurs. Elle se situe dans la volonté des deux personnages principaux  à ne pas interrompre leurs habitudes. Eva danse, Nell lit, et ce quotidien est immuable, comme si l'une allait passer ses auditions de danse, et l'autre passer les tests d'admission à Harvard. Pourtant, on ne peut pas parler de naïveté puisqu'elles ont vu de leurs propres yeux la ruine de la ville située près de chez eux, et les maisons voisines abandonnées. Mais, c'est comme si la forêt formait autour d'elle un cocon protecteur qui permettrait de les préserver de la violence des événements extérieurs. Or, c'est bien connu, la forêt enferme aussi des monstres...

La narration à la première personne implique le lecteur. Nell retranscrit dans un journal tout ce qui se passe en y ajoutant ses émotions, se regrets mais aussi ses désirs. Ecrire lui permet de ne pas devenir folle et de laisser une trace pour ceux d'après, pourquoi pas. Elle y explique aussi la difficulté de la promiscuité et du rationnement, mais aussi celle d'envisager l'avenir et l'amour.

Jean Hegland signe un roman d'apprentissage bien écrit, qui livre une vision pessimiste du devenir de notre civilisation.