Titre original : Fûon
Regards croisés
Un livre, deux lectures. En collaboration avec Christine Bini
Les pleurs du vent, sont ceux qu'on peut entendre parfois sur l'île d'Okinawa, lorsque le visiteur est tout proche de l'ossuaire. La légende locale dit que c'est le crâne qu'on peut voir d'en bas, celui qui semble contemplait la mer, qui gémit de temps en temps sur sa destinée. C'est pourquoi, les anciens pensent qu'il ne faut en aucun cas le bouger, car ce crâne est un symbole local. Il incarne, paraît-il, les restes d'un kamikaze blessé mortellement sur l'île lors de la bataille d'Okinawa en 1945. Le déplacer de sa dernière demeure serait manquer de respect aux disparus, mais aussi aux anciens combattants.
Medoruma Shun situe une nouvelle fois son récit sur son île natale où les stigmates de la seconde guerre mondiale sont omniprésents. Les habitants parlent peu et sont garants des traditions et coutumes locales. Alors quand les médias s'intéressent de plus près à cette histoire de crâne qui pleure, c'est une mini-révolution et une atteinte à l'histoire de l'île.
"- Naransâya, lança-t-il
- Pardon ?
Un soupçon d'hésitation apparût dans le regard de Fujii.
- Je vous dis qu'il ne faut pas. Ce crâne il ne faut pas en faire un objet de curiosité. Pourquoi faudrait-il l'exhiber à la télévision ?"
Déjà, dans L’Âme de Kotaro contemplait la mer (Zulma, 2014), Medoruma Shun insistait sur la croyance de la survie de l'âme après la mort, sur le fossé immense entre la beauté des lieux et les violences passé. Une nouvelle racontait aussi que les âmes des défunts chantaient et contemplaient la mer...
Ce crâne qui pleure en contemplant la mer est un symbole. Pour les enfants du village, dont Akira, c'est un objet sacré, étrange, qu'on voudrait voir de plus près, quitte à se rendre à l’ossuaire en escaladant avec des lianes, depuis que l'escalier n'existe plus.
"C'étaient les vestiges de l'ancien ossuaire en plein air dont même les vieillards du village ignoraient de quelle période il pouvait bien dater. Quand on y déposait le corps d'un mort, les oiseaux, crabes, ligies de rivages, et puis la brise marine se chargeaient de le transformer en un beau squelette blanc, disaient avec nostalgie les anciens en plissant les yeux comme pour apercevoir au loin ce passé. (...) A présent l'ossuaire avait presque disparu sous la prolifération des banians et des liserons".
Pour le père d'Akira, Seikichi, ce crâne est un emblème qu'il ne faut en aucun cas exploiter afin que les touristes affluent pour le contempler.
"Akira comprit soudain pourquoi le crâne pleurait. Il s'agissait du bruit du vent passant au travers de ce petit trou. Le vent pénétrait par les deux orbites, l'intérieur du crâne faisait caisse de résonance, et le bruit du vent qui sortait de la blessure par laquelle la vie avait été ôtée, créait ces pleurs".
Les Pleurs du vent oppose constamment la violence de la guerre et la beauté des paysages, la modernité et la tradition. Et Medoruma Shun veut en faire des sujets universels en les exploitant à l'infini, à travers ses œuvres, sous des angles différents.
Lire l'article de Christine Bini