Titre original : Beacon 23

"Je ne suis pas très bon, je suppose, quand il s'agit d'avoir une vision globale. J'arrive à peine à maintenir en état cette petite boîte de conserve qui me tient lieu d'univers. Je ne suis rien d'autre qu'un soldat foutu, originaire d'une petite ville dans le trou du cul d'une vieille planète, et qui s'est débrouillé pour devenir aiguilleur de l'espace.
Et pas des plus doués avec ça".
Hugh Howey est un marin qui a décidé de vivre à l'année sur son voilier. La solitude, il connaît, quand il est perdu au beau milieu de l'océan pacifique, en n'ayant que les étoiles qui se réflètent dans l'eau.
L'espace et l'océan, c'est presque la même chose : le même paysage à perte de vue, personne à qui parler, et ce vide qui vous oppresse inexorablement. Sur l'affiche d'Alien, le film de Ridley Scott, on peut lire "Dans l'espace, personne ne vous entend crier"...
"Mais on ne vous dit ce qu'il en est de vivre avec les cliquetis et les grincements et les petits bips en arrière-plan. Ni comment le vide spatial, des années-lumières à la ronde, peut être ressenti comme un poids énorme, écrasant. Le silence semble constamment gagner du terrain, comme l'obscurité à laquelle j'ai été un jour confronté, dans une grotte de la Virginie-Occidentale. Une obscurité qu'on peut mâcher. Une obscurité qu'on perçoit à des kilomètres alentour. Une obscurité dont on n'est pas certain de pouvoir un jour s'extirper".
Au XXIIIème siècle donc, l'Homme a conquis la Voie Lactée, notre galaxie, et la NASA a disséminé ça et là des phares pour guider les transporteurs interstellaires. Le gardien de phare existe toujours, mais il vit sa solitude dans l'espace, déclenchant ses balises à l'approche des voyageurs. Le phare 23 est le plus éloigné de la Terre, au bord du secteur 8. Son gardien, après avoir connu les saletés de la guerre contre les aliens, a décidé de signer un contrat de deux ans pour veiller à l'entretien et au bon fonctionnement du site. En secret, la compagnie de ses semblables ne l'intéresse plus depuis qu'il a vu des amis mourir au combat pour des causes souvent obscures. C'est pourquoi, il envisage de passer le restant de sa vie dans le phare.
"C'est une question d'anéantissement (...)je pense à mes potes qui ont tirés leur révérence à cause d'une grenade et à ceux qui ont tirés leur révérence à cause d'un staphylocoque doré dans un hôpital pour anciens combattants. Ces derniers passent inaperçus. Ils ne sont qu'une statistique. Mourez sans bruit et vous êtes un chiffre. Mourez de façon spectaculaire et vous êtes un nom".
Ayant pourtant recherché "l'infinie solitude des confins de l'espace", le silence lui pèse de plus en plus, au point d'avoir parfois des hallucinations auditives. Tout est trop tranquille dans son secteur, et même si les voyageurs lui indiquent que la guerre interstellaire se rapproche, il a du mal à y croire...
Pourtant, une panne de balise va tout remettre en cause. Responsable sans le vouloir de la destruction d'un transporteur qui n'a pas vu le phare, le gardien perd le peu de raison qui lui reste. Les cauchemars de la guerre reviennent, le silence omniprésent et lancinant l’oppresse. Il lui faut à tout prix rencontrer du monde avant de sombrer définitivement. Même les chasseurs de prime à l'allure patibulaire deviennent des psychologues d'un jour. Alors, quand un phare semblable au sien s'installe juste à côté de lui, le gardien se dit qu'il est sur le chemin de la guérison...
"Pleurer ce n'est pas seulement ouvrir les vannes d'un traumatisme personnel afin de s'en libérer - pleurer, c'est tout autant laisser voir sa souffrance à ceux qui nous entourent. Nos larmes visent à atteindre un but, mais on les laisse rarement couler".
L'auteur de la trilogie Silo renoue avec la science-fiction en mettant en scène le destin d'un homme, rongé par sa culpabilité de soldat, et angoissé par son rôle de gardien de phare. Page après page, Phare 23 distille l'angoisse et bascule le lecteur dans une sorte de réalité parallèle, si bien que se pose la question lancinante de savoir si les scènes vécues par le gardien sont réelles ou fantasmées. Dès lors, le roman devient plus complexe qu'il n'y paraît, et de véritables réflexions sur la solitude et la nature humaine se font entendre.
Les amateurs de Space Opera n'y trouveront pas leur compte car l'espace n'est qu'un prétexte à un récit résolument... humain.