Titre original : The Hearts of Men (à paraître aux USA en 2017)
A lire, la très intéressante note de la traductrice, Mireille Vignol, à la fin du roman
Scout toujours !
"Mais le garçon, en dépit de tous ses efforts pour retenir ses chaudes larmes et ses hoquets d'embarras, de solitude et de honte, redoublait de sanglots.
- Je t'interdis de pleurer ! lâcha sèchement Clete. Tu as treize ans, Nelson ! Les hommes ne ... Je t'interdis de pleurer ! C'est compris ?"
Pas facile d'être tout ce qu'on attend d'un homme : un adulte responsable, un père aimant, un mari amoureux et fidèle, un patriote, un ami.
Divisé en trois parties - trois années clés de la vie de Nelson- Des Hommes de peu de foi tente de dresser le portrait universel et idéal du genre masculin tout en pointant du doigt leurs failles, leurs faiblesses, leurs blessures intérieures. Tous ces portraits imbriqués se construisent autour d'un personnage récurrent, Nelson, dont la vie sera un éternel questionnement sur ce qui lui semble juste ou sur la véritable nature de l'homme de bien.
En 1962, à 13 ans, Nelson est le mal-aimé du camp de scouts de Chippewa. C'est le souffre douleurs, mais paradoxalement il entretient un certain recul par rapport à cela. L’amitié est à la fois une chose étrange qu'il redoute et souhaite à la fois. Être le Clairon du camp et celui qui détient le plus d'insignes de mérite lui conviennent parfaitement. C'est sa mère qui lui a transmis ses valeurs, car il se sent très peu proche de son père, un homme violent et égoïste, incapable de gestes tendres.
Alors quand on apprend qu'en 1996, le Clairon frêle et menu d'autrefois est un ancien des forces d'élite de l'armée américaine, le lecteur sent que l'ellipse narrative a transformé le personnage principal. Il est devenu un vétéran, et un ami fidèle d'un ancien scout comme lui, Jonathan dont le fils, âgé de seize ans, Trevor, doit rejoindre aussi à son tour le camp de Chippewa. Jonathan, le temps d'un week end, veut en faire un homme, ce qui, selon lui, doit passer par le club de strip-tease et l'alcool.
"Les boy-scouts d'Amérique n'ont jamais été renommés pour leur finesse, ni d'ailleurs pour leur sensibilité. Un scout est fiable, loyal, serviable, aimable, courtois, bon, obéissant, économe, courageux, propre et respectueux. Mais pas homosexuel par exemple, ni femme, ni athée, semble-t-il. Jonathan a une vision grave et pessimiste du monde, mais il n'est pas dogmatique. Pour lui, le scoutisme en tant qu'organisation est une fraternité opiniâtre de jeunes républicains paramilitaires qui se cramponnent désespérément à quelques notions de vertus datant du XIXème siècle dans un monde moderne".
Nelson, chauffeur, le temps de cette virée, tente de comprendre comment Jonathan est devenu ce qu'il est: un chef d'entreprise qui trompe ouvertement sa femme devant son fils, et transmet des principes douteux à sa descendance. Nelson est célibataire, sans enfant, mais est-ce que lui aurait eu la même attitude ?
En 2019, c'est au tour du fils de Trevor, Thomas de rejoindre le camp scout, maintenant dirigé par un Nelson vieillissant. Ce dernier ne comprend plus ce monde ultra-connecté où les lueurs de tablettes ont remplacé les feux de camp, où les jeux en ligne ont plus de succès que les concours de nœuds. Il aime discuter avec la mère de Trevor, Rachel, qui a intégrée le camp scout malgré la forte réticence des pères présents sur le site. Imposer sa présence est une lutte quotidienne car les a priori ont la vie dure. De son côté, elle peine à comprendre les hommes depuis qu'elle a perdu celui qui incarnait à ses yeux la perfection : Trevor, le fils de Jonathan. Avec Nelson, ils peuvent au moins parler sans ambages de cet homme disparu qu'ils ont tant aimé.
Des Hommes de peu de foi est un roman ambitieux car il traite de la nature humaine à travers plusieurs personnages, tout en laissant un lien entre eux. Nelson est un peu l'araignée qui a tissé la toile et a emprisonné des fragments de caractères masculins : Clete, Jonathan, Trevor, Billy, Platz et les autres. Nelson Doughty est un témoin : il se sent à la fois proche et éloigné de ces hommes qui se débattent dans une vie pétrie de conventions, ou les amours vont et viennent.
"L'amour n'appartient pas au domaine de la raison.
L'amour est une émotion".
Et les femmes dans tout ça ? Nickolas Butler en fait des Ariane : elles ouvrent la voie, transmettent des valeurs et sont des épaules réconfortantes sur lesquelles se reposer . Ce sont des rocs qui rebondissent malgré le deuil et l'adversité tout en tentant de comprendre, supporter et parfois pardonner à ceux à qui elles ont accordé leur confiance.