lundi 3 octobre 2016

Au Commencement du septième jour, Luc Lang

Ed.Stock, août 2016, collection La Bleue, 544 pages, 22.50 euros

Renaître



Au Commencement du septième jour est le roman de l'ellipse et des questions sans réponses. C'est aussi le roman d'un homme qui se cherche, qui se sent finalement étranger à soi-même, un peu comme Meursault dans L'Etranger d'Albert Camus. Pourtant les émotions sont là, les sentiments aussi, mais elles restent tapies ou à fleur de peau. Thomas ne sait pas comment évacuer son trop plein émotionnel.

Thomas est marié, père de famille. Il est fou amoureux de sa femme Camille, éloignée de lui la semaine, accaparée par un travail de cadre dans la région de Rouen. C'est un choix de vie malgré tout, le temps que Camille puisse prouver ce qu'elle vaut professionnellement. Thomas gère les enfants. Pourtant, il sent ou plutôt croit sentir que son épouse s'éloigne de lui. Un coup de fil interrompu et c'est le sentiment que quelque chose d'irrémédiable va arriver.

C'est un homme perdu qui est au chevet de son épouse dans le coma.
"Mais je suis là, moi, je... je devrais la réveiller, non ?"
Camille a eu un accident de voiture, elle est dans le coma. Pourquoi une telle vitesse ? Pourquoi cette route à cette heure-là ? Autant de questions sans réponses qui ne changeront pas les choses finalement. Maintenant, il faut s'organiser, établir un nouveau quotidien avec les enfants, Anton et Elsa, continuer à travailler, à être présent dans sa boîte informatique où il est le concepteur d'un nouveau logiciel devant "fliquer" les salariés. Thomas, qui a su inventer un procédé pour tracer des gens, se rend compte qu'il ne sait que peu de choses sur Camille...
"On dirait qu'elle est recluse derrière une vitre étanche, elle voit mis elle ne peut pas s'approcher ni communiquer, on dirait que tout est nouveau pour elle...Elle vient se fracasse contre la vitre puis repart vers quel monde intérieur ? ... Ça n'imprime pas, c'est sans mémoire".

Sans transition, le lecteur bascule dans une seconde partie de roman au thème différent. Thomas est dans les Pyrénées, chez son frère aîné, Jean, éleveur bio qui a renoncé à une carrière d'ingénieur agronome pour vivre plus près de la montagne et de ses bêtes. Au commencement du septième jour, il est seul, en randonnée.
"Ce matin-là du septième jour, le froid humide sinuait dans les os, le plafond gris noyait les cols environnants, Thomas se retirait à pas lourds vers le col de la Fache après un dernier regard sur le gave et les chevaux".
Il se demande pourquoi son frère est si secret, pourquoi sa sœur Pauline est partie en Afrique faire de l'aide humanitaire en tant que médecin, et surtout comment son père Aurèle a basculé dans le ravin alors qu'il connaissait les lieux comme sa poche.
Dans la famille, on ne parle pas, ou peu. On tait l'essentiel. A quoi bon. Exprimer ses émotions n'est jamais bon, et cela ne ferait que raviver des tensions.
"Dans l'étreinte de Jean, Thomas recouvre sa place comme si la forme de son corps s'y trouvait déposée depuis un temps confus et lointain où le père a disparu de sa vie. Un apaisement, un abandon de quelques secondes dont l'intensité ne faiblit pas. Ils se serrent, se regardent, ils ne se quittent pas".
 La seconde partie, le livre de Jean, est la démonstration de la citation de Joseph Conrad mise en exergue "Nous vivons comme nous rêvons, seuls". Nous sommes toujours seuls, dans un monologue intime permanent, à lutter contre le doute et le chagrin.
En filigrane, on comprend que Camille est morte, que Thomas est un veuf perdu qui tente d'être un bon père pour ses deux jeunes enfants. Il a besoin de revoir Pauline dont les seules nouvelles qui lui parviennent sont celles que lui donne Jean.

La troisième partie, le livre de Pauline, se déroule au Cameroun où Pauline tente de protéger la population locale du manque d'hygiène, de la corruption et de Boko Haram. Leurs retrouvailles ne sont pas exaltées, la pudeur et les regards suffisent. Ces deux-là se comprennent à demi-mots, et les silences sont souvent plus bavards que les mots. Il s'est passé des choses dans la vie de Thomas, mais ce n'est pas l'essentiel, alors le lecteur le devine au détour d'une phrase. Au Cameroun, Thomas est confronté à un paysage et à des codes qu'il ne maîtrise pas et qui l'inquiètent. Sa sœur est une béquille indispensable pour avoir des réponses aux questions qu'ils se posent.

Au Commencement du septième jour est un livre rempli de points de suspension, de non-dits, qui entourent un personnage central, Thomas. Il ne connaît que des brides des histoires qui touchent sa famille de près ou de loin. Alors que sa vie est un combat de chaque instant car il affronte le deuil de l'être aimé, s'amorce en lui un besoin de vérité pour qu'enfin les émotions puissent s'extérioriser de la carapace qu'il s'est forgée.
"Elle nous manque. On traverse. Par moments, c'est comme une tempête, on trébuche, on perd l'équilibre".