vendredi 23 septembre 2016

A part ça (15) Muse, Jonathan Galassi

Ed. Fayard, traduit de l'anglais par Anne Damour , août 2016, 272 pages, 20.90 euros.

La littérature inspire. Elle est une passerelle, un fil d'Ariane...




Ida Perkins est une poétesse célèbre dont les apparitions au compte-goutte déchaînent les passions et dont  la vie amoureuse est un sujet de conversation intarissable dans le milieu littéraire. D'ailleurs, en exergue du livre, des vers de la star. Dès lors, la lectrice lambda que je suis, assez mal informée en poésie, se demande si Ida Perkins a bel et bien existé. Au fil des pages, Jonathan Galassi me fait croire que oui, m'invitant à entrer dans son oeuvre.
Puis le bas blesse : depuis quand une poétesse vend autant d'opus ? Malheureusement, la poésie n'a jamais été un genre qui fait vendre. Dans Muse, deux maisons d'édition se battent pour conserver ou récupérer les droits de l'idole. L'avoir dans son catalogue est non seulement source de revenus mais aussi preuve de goût.

Ida Perkins est LA figure féminine par excellence, miroir d'une condition qui se cherche et revendique, mais Ida a aussi ses démons, et au-delà de ses silences criants, elle se bat contre elle-même. Suinte l'idée selon laquelle elle est une femme résolument seule, isolée, malgré les amants et la vie mondaine. Voilà toute l’ambiguïté et le paradoxe du personnage.


Mais, à part ça, Muse est avant tout un roman écrit par un éditeur qui parle du monde de l'édition, et qui voue un amour passionné et passionnant pour l'objet livre en général et la poésie en particulier. Les personnages, Paul et Homer, éditeurs, sont succulents dans leurs raisonnements, leurs façon d'être, leurs points de vue sur ceux qui gravitent dans ce petit monde fermé.
Jonathan Galassi s'est inspiré de son monde pour faire naître une héroïne totale, entière, souvent ingérable, détentrice de nombreux secrets.

Morceaux choisis :

"Elle était la propriété de cet avorton de rival, Sterling Wainwright, dont elle était parente après tout, et pour Homer aussi la parenté avait son importance. Il n'y avait simplement rien à faire - non qu'il n'ait tenté de l'attaquer frontalement à maintes reprises, pour se retrouver chaque fois aimablement repoussé. Non, Ida était le rêve inaccessible d'Homer. Lancinant comme une démangeaison. Cette salope d'Ida Perkins se tape tous les gros titres et rafle tous les prix, et qu'est-ce qu'il nous reste ? des clopes !"

"Les poèmes d'amour d'Ida - et on pourrait avancer que tous ses poèmes étaient des poèmes d'amour, du premier au dernier -  sont définis par le contraste et la dichotomie, le ying et le yang de l'amant et de l'aimé, de celui qui donne et de celui qui reçoit, du jour et de la nuit, de la croissance et de la décomposition. Un monde d’irrésistibles contraires sans zones de gris : voilà en tout point ce qu'était la première Ida Perkins".

"Un nouveau recueil émergeait tous les deux ou trois ans comme s'il tombait du ciel, et Sterling s'en emparait et le publiait chez Impetus à la stupéfaction - et à l'émerveillement -  générale. Peu à peu Ida devint une légende à distance, une formidable présence invisible planant au loin".

"Homer aimait gagner, et aimait encore plus voir les autres perdre. Mais il aimait aussi le métier pour le métier. Et il y excellait (...) Ses employés étaient pour lui ses enfants illégitimes ; ils étaient les meilleurs du métier parce qu'ils étaient les siens.(...) C'était un amateur, dans le sens original du terme : il aimait l'écriture et les écrivains".


A savoir :

Président des prestigieuses éditions Farrar, Straus & Giroux, Jonathan Galassi est un acteur essentiel du monde de l’édition aux États-Unis. Auteur de trois recueils de poésie, traducteur des poètes Eugenio Montale et Giacomo Leopardi, éditeur de poésie pour The Paris Review, il écrit aussi pour The New York Review of Books, entre autres publications.