Titre original : Hunts in dreams
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"On ne sait pas d'où on vient ni ce qu'on fait sur cette terre"
La famille Darling est déroutante : le couple que forment Joan et Charles n'est pas assorti. Tandis que l'une déserte le foyer familial le temps d'un week end pour souffler en participant à un séminaire, l'autre se met en tête de récupérer le fusil du grand-père récupéré par une voisine récalcitrante, tout en gardant les enfants. Pourtant, les gamins sont autonomes : Micah, sept ans, se posent des questions existentielles, et Lyris, quinze ans, se demande si vivre finalement avec sa vraie famille est une bonne chose.
Joan a préféré abandonner Lyris à sa naissance, ne s'estimant pas capable de l'aimer comme il faut. Depuis, les services sociaux lui ont rendu, l'obligeant à faire face. Mais Joan est à un tournant affectif : elle ne sait plus si elle aime encore Charles, recherche la solitude tout en étant réceptive aux avances de son médecin...
"Elle se demanda qui elle aimait, Micah, Lyris - elle allait l'aimer -, les enfants sont des éponges à amour, ils ne peuvent s'empêcher d'absorber la moindre goutte. Mais aimer uniquement des enfants, c'est se retirer du monde des adultes d'une manière qui n'est pas si plaisante. Ce qu'elle éprouvait pour Charles était une question délicate".
Charles, lui, prend la vie comme elle vient. Ce plombier attend que les événements se passent pour prendre une décision. L'anticipation n'est pas son fort, il est même assez flegmatique, si bien qu'il se rend compte toujours tardivement de ses propres sentiments :
"Il avait toujours pris conscience trop tard qu'il y avait des gens à qui il tenait et que des efforts s'imposaient pour les garder".
Tom Drury raconte à sa façon la déliquescence d'un couple. Le temps, autour d'eux, est suspendu ou tout au moins ralentit sérieusement, laissant le chaos affectif s'installer durablement pour ce couple improbable qui s'est rencontré dans une église lors d'une conférence pour l'alcool.
Il n'y a pas de héros chez cet auteur, mais un ensemble de personnages qui forme un protagoniste tutélaire, sorte de référent sur le sens de l'existence, capable de réfléchir sans en avoir l'air sur le lobbying des armes aux Etats-Unis ou l'éducation.
"Il trouvait que ce Montaigne, là, avait bien raison : ce qu'il n'admirait pas chez lui-même, il n'était pas en mesure de s'en débarrasser. C'était là, devant lui, toujours, à guider ses mouvements".
Pourtant, c'est Micah qui, du haut de ses sept ans, porte un regard acéré sur ce qui se passe autour de lui. Il a un recul digne d'un adulte, et pense finalement que les êtres humains sont des fantômes voyageurs, car ils errent comme eux sans véritable but défini.
"Les fantômes ne peuvent pas choisir où ils vont. Cette maison les attire, c'est tout. Je pense qu'à un moment donné, ça a été un endroit important".
Même Follard, l'incendiaire sociopathe, symbole de la violence brutale qui peut intervenir à tout moment, semble accomplir ses méfaits avec grâce, tant la prose de Drury impose un rythme doux, lancinant aux phrases, et utilise des mots aux assonances arrondies.
Il faut croire aux gens pour rester auprès d'eux pense Joan, tandis que Charles croit à la permanence des choses. Dans ce climat à la croisée des chemins, chacun se raccroche à ce qu'il peut et tente de comprendre le monde. Et bizarrement, la vérité vient des plus jeunes d'entre nous.