Mourir

Ce court roman débute par un fait divers insolite. dans la nuit du 21 mars 1951, à Williamstown (Etats-Unis), quatorze adolescents sans histoire se sont suicidés. Tout de suite, à cause du suicide collectif, le lecteur pense à une secte, mais aucun signe extérieur laisse envisager une telle hypothèse. L'auteur égrène les modes opératoires, les profils de chaque victime, à l'affût du détail, du point commun qui pourrait devenir le fil rouge de l'enquête, mais rien de bien probant n'apparaît.
Alors, le récit se penche sur le cas de Betty Carter, retrouvée morte cette fameuse nuit, dans son lit. A défaut d'autopsie du corps, nous assistons à une autopsie de son âme. Choquée toute petite par la perte de sa grande sœur, devant ses yeux, Betty est devenue une jeune fille spéciale dont la particularité est de pouvoir converser avec les âmes des défunts. Au fur et à mesure, Betty est fascinée par l'au-delà, au point de repérer en ville les décès pour mieux converser avec de nouvelles âmes.
"Et comme les âmes n'ont pas besoin de cadeaux, Betty entreprit de les aider dans leur tâche. C'est ainsi qu'elle se mit à leur service. Chaque jour elle faisait le tour de Williamstown et elle inspectait la campagne environnante. Elle savait que chaque instant était marqué par des milliers de morts et que les anges devaient courir au plus vite vers l'un ou l'autre pour arriver à temps auprès des âmes saisies, pour les accueillir et les accompagner, sinon elles couraient le risque de se perdre".
Parallèlement, Christos Chryssopoulos dresse le portrait d'un certain Antonios Pearl, homme d'une cinquantaine d'années, qui a beaucoup bourlingué et qui, au moment des faits, résidait sur Williamstown. Dans une lettre, on apprend qu'il connaissait Betty. Il la surnommait Shunyata, qui désigne, en religion bouddhique, la nature absolue de la réalité, à savoir le vide.
Antonios Pearl a bâti ses propres postulats sur la vie et la mort à partir de ses lectures, ses croyances personnelles, et les différentes religions. Puis, il s'est improvisé "guide de conscience juvénile", diabolisant la vie, idéalisant la mort, protégeant l'âme par rapport à la conscience.
Divisée en cinq parties, La Tentation du vide expose les faits, les semblants de mobile, les pistes qui pourraient expliquer l'inexplicable. C'est au lecteur de construire les ponts qui permettent de relier les éléments entre eux. Ce n'est pas toujours facile, car Christos Chryssopoulos a écrit un véritable jeu de pistes, privilégiant l'art de l'ellipse narrative, au style complètement désincarné. Aucune émotion ne circule, et le lecteur n'a pas le temps de s'émouvoir de la mort de ces quatorze enfants qu'il est embarqué dans une aventure métaphysique et spirituelle aussi intéressante que mystérieuse.
"Du reste, sur le bref trajet que dessine sa courte existence, il n'est nul espace pour un changement de personnalité. Le temps est trop court pour en tirer des conclusions. La vie ressemble à un chemin rectiligne et univoque, défini de façon peu ou prou déterministe (...) On peut cependant esquisser, disons, un schéma. Il débouche sur une ensemble hétéroclite de témoignages et d'informations fournies par l’état-civil et parsemé d'événements ténus, peut-être anodins".
Sur bien des points, La Tentation du vide est un roman hallucinatoire, aux confins de l'étrange, qui ne présente aucune explication, mais des pistes non abouties. Il est une réflexion profonde sur l'adolescence, son mal-être en générale et son obsession pour la question de la mort en particulier. On retrouve l'auteur de La Destruction du Parthénon et d' Une Lampe entre les dents dans un registre complètement différents de ses œuvres précédentes. A la fois polar et réflexion métaphysique, le lecteur comprend que le personnage d'Antonios Pearl est la clé de compréhension de l'ensemble, mais c'est à lui de remettre dans l'ordre les éléments épars du mystère Williamstown.