lundi 11 avril 2016

Dans la jungle, Agnès Vannouvong

Ed. Mercure de France, avril 2016, 120 pages, 14 euros.

En quête de soi


"Elle s'était habituée à cette solitude intérieure, tenable et intolérable sans parvenir à mettre des mots, jamais, sur ce qu'elle ressentait, une terre vide, une absence à soi et au monde que rien, ni son mariage ni la naissance de ses enfants, ne pouvait combler".
May a enfin fui cette vie qui lui pesait, faite de routine, sans passion et terne. Elle a divorcé après le départ de ses enfants, et a décidé de se rendre dans son pays natal, la Thaïlande. Ce choix s'est imposé à elle, même s'il couvait depuis longtemps, après la mort là-bas de son collègue et meilleur ami Stéphane. Les circonstances de son décès sont restées mystérieuses. Il était la bouffée d'oxygène quotidienne que May n'avait plus chez elle. Elle enviait sa liberté et sa façon de voir la vie, lui qui avait perdu très tôt ses parents et sa soeur dans un accident de voiture. A sa mort, Stéphane légua une coquette somme à May, possibilité inédite de concrétiser son projet de voyage.
"Elle partait. Elle était".

D'abord, pour elle, la Thaïlande c'est la jungle, suivre son guide Say,  contempler les paysages verdoyants, et se baigner dans le Mékong. C'est le moment aussi de faire un bilan de sa vie. A cinquante-trois ans, elle s'octroie un nouveau départ :
"Comment avait-elle pu s'oublier autant ? Enfin, elle allait vivre".
May n'a pas été adoptée. C'est sa mère qui a fui le pays avec elle pour la France. Elle s'est installée à Saorge, et s'y est parfaitement intégrée. La petite n'avait gardé de sa terre natale que les souvenirs que lui transmettait la maman avant de dormir.
"Le choc de l'exil, c'est ce sentiment qui ne vous quitte jamais, c'est la puissance de la mémoire, un non lieu étranger sur une carte, l'éloignement subi d'une terre, d'une langue, d'une communauté, la confrontation de deux mondes, celui d'où l'on vient, celui où l'on vit, l'ici et le présent, le passé et l'ailleurs, le croisement de l'Orient et de l'Occident".

Elle marche sur les traces de son histoires personnelle, mais aussi sur celle de Stéphane. Le voyage initiatique est aussi un pèlerinage : "il est mort ici et moi je suis née au paradis" glisse-t-elle à  Say. Stéphane adorait cet endroit, même s'il sentait qu'il serait toujours le "farang" (l'étranger) aux yeux des autochtones.
"May déplie une carte, trace un chemin formant un triangle aux confins de Birmanie, du Laos et de la Thaïlande. C'était la route de l'opium. C'était aussi le trajet de vacances de Stéphane, l'itinéraire de sa mort".

De la jungle à l'île de Koh Sanet, en passant par Bangkok, le lecteur assiste à la renaissance d'une femme qui ose enfin vivre. La beauté du fleuve Mékong, les paysages luxuriants à perte de vue, la simplicité des villageois, la ramènent à l'essentiel et lui permettent de mieux cerner son histoire personnelle. Au fil du récit, c'est aussi un autre Stéphane qu'elle découvre, loin de celui qu'elle côtoyait en France. Lui aussi est allé à la rencontre de son véritable moi...

Agnès Vannouvong nous offre un roman court mais intense dans lequel la contemplation de la nature et la découverte d'une société inconnue comblent le vide existentiel. Elle dresse le portrait d'une femme libre, indépendante, qui s'accepte enfin.