mardi 22 mars 2016

Jeune Fille à l'ouvrage, Yoko Ogawa

Ed. Actes Sud, février 2016, traduit du japonais par Rose-Marie MAKINO-FAYOLLE,  224 pages, 20 euros.

"Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices"...

(Lamartine, Le Lac)

Les nouvelles de ce recueil ont vingt ans, et pourtant elles gardent cette fraîcheur et cet éclat mystérieux propres aux textes de Yoko Ogawa.
Le temps est suspendu, les protagonistes ne courent pas après lui. Ils  accueillent les événements les plus insolites avec calme et sérénité comme s'ils allaient de soi. "Ce qui brûle au fond de la forêt" a fait du temps une notion qui n'existe plus. Pour cela, il suffit juste de se faire retirer la glande ressort de l'oreille, privilège accordé aux résidents d'un centre d'hébergement.
"Quand je passe seul le moment qui précède la tombée de la nuit, je réalise à nouveau que je suis arrivé dans un monde où il n'y a pas de temps. Le temps s'écoule haut dans le ciel, là où la main ne peut le saisir, et je suis blotti tout au fond de cet écoulement".
Pour les autres, le temps se symbolise par une date anniversaire qui se matérialise par une rencontre avec une personne aimée, ancienne chanteuse d'opéra, comme dans "Aria", ou un album photos qui rappelle de bons souvenirs tel celui feuilleté dans "Le concours de beauté".
Parfois, le temps qui s'écoule inexorablement devient une donnée oubliée. Dans "Les morceaux de cake", la vieille femme se prend pour une princesse, tandis que les gens de sa maison se débarrasse de sa garde-robe désuète.

Chez Yoko Ogawa, le plus important est d'acquérir "un instant qui dure éternellement". L'éternité est de mise, et les souvenirs sont un moteur.
"Rien ne venait nous déranger. Tous les bruits étaient interrompus, même le temps paraissait ne plus exister", peut-on lire dans L'autopsie de la girafe. Et si le gardien du corps de l'animal était celui de l'éternité ?

Or, il arrive que les mois ne défilent pas paisiblement. Il y a des écueils, des accidents qui laissent des traces, tout comme les tâches sur le plancher récuré de "L'univers de nettoyage de la maison" :
"Les taches ont imprégné profondément le plancher (...). Je ne parle pas de densité, c'est un problème de profondeur. Comme une ecchymose ou comme une empreinte, elles ont une existence inviolable".
Rien ne s'efface complètement. Le temps lisse, polit les blessures et les chagrins? mais ne les enlèvent pas.

Rien n'est laissé au hasard. Qu'on soit en "Transit" à l'aéroport à écouter l'histoire d'un inconnu, ou malade uniquement à jours fixes dans "La crise du troisième mardi", il est évident que l'auteur croit à un destin tout tracé pour les êtres humains. Chaque nouvelle est un fil d'Ariane à suivre dans le labyrinthe du temps, et un moment suspendu de la littérature nipponne.