vendredi 18 septembre 2015

Tout ce qui est solide se dissout dans l'air, Darragh McKeon

Ed. Belfond, collection domaine étranger, traduit de l'anglais (Irlande) par Carine Chichereau, août 2015,  425 pages, 22 euros.

Tchernobyl, 26 avril 1986.


 Avril 1986, Tchernobyl. La centrale nucléaire, vétuste et mal entretenue, mais fer de lance de l' U.R.S.S, a un réacteur en feu. C'est le point de départ de ce qui va être, jusque Fukushima, l'accident nucléaire le plus grave de l'Humanité. De plus, le fait que les événements se passent dans un pays "fermé" pratiquant la langue de bois et la manipulation des informations, a forcément compliqué les choses.
"Au dessus de la centrale plane toujours un mélange de couleurs étranges qui distordent la perspective, si bien que le paysage semble concave à cet endroit, pareil à une coupe peinte. La fumée montée en une colonne bien définie qui se mêle au ciel en altitude."

"C'est à nous d'aller fermer les portes de l'étable" dit avec un sourire un des représentants du Parti. A force de vouloir minimiser la catastrophe et ses conséquences, on a tendance à ne plus le voir, ou tout au moins à croire à un petit incident.
Pourtant le DR Grigori Ivanovitch, chirurgien envoyé sur place avec son ami Vassili, comprend vite que c'est très grave. L'évacuation de la population s'est faite trop tardivement, il n'y a pas assez de capsules d'iode pour tout le monde, et surtout on envoie à l'abattage, sans vraiment de protections, des équipes de nettoyeurs. Forcément, quand il veut alerter les autorités, on lui ordonne de se taire, et il se retrouve en périphérie du périmètre de sécurité à opérer des enfants mal formés.
"La beauté et la monstruosité dans le corps du même enfant malade. Les deux faces de la nature ramenées à une austère différenciation."

Dans le même temps Artiom et sa famille sont évacués. Habitants d'un petit village autour de la centrale, ils ont vite compris qu'il se passait un événement anormal car les animaux saignaient des oreilles. Dans le tumulte de la fuite, le père a été séparé de sa femme et ses enfants. Désormais, le jeune Artiom se retrouve seul à devoir protéger sa mère et sa sœur. Parqués dans des préfabriqués dans la ville froide de Minsk, ils apprennent à survivre, et grâce à l'aide d'un éboueur au grand cœur, retrouvent le père, en proie à une étrange maladie. Évidemment, contrairement à ce que préconisaient les autorités, la vodka n'était pas un remède naturel aux radiations...

Étrangement, alors que l' U.R.S.S se débat avec ses contradictions et tentent de ne pas montrer l'agonie de son système politique, Maria, l'ex-épouse de Grigori, ne se sent pas concernée. Journaliste devenue ouvrière pour avoir été trop curieuse, elle concentre tous ses espoirs sur son neveu, enfant prodige du piano, qui, espère-t-elle, aura toutes les possibilités d'être vraiment libre plus tard grâce à la musique:
"Il y a tant d'espaces vides dans sa vie. Peut-être est-ce pour cela qu'elle éprouve un tel plaisir lorsqu'elle voit Evgueni sur un clavier dépourvu de son. Cela lui rappelle que la vie peut prendre des tournures auxquelles elle n'aurait jamais pensé."

Darragh Mc Keon a construit son récit autour de trois destins liés à Tchernobyl: un médecin, son ex-compagne avide de vérité, un adolescent évacué. Autour d'eux, toute la puissance du drame et les efforts multipliés pour en atténuer l'importance. En filigrane, l'auteur critique tout un arsenal politique basé sur le mensonge, la propagande et la menace, prêt à sacrifier toute une partie de sa population pour pouvoir sembler gérer la situation alors que le système est au bord du gouffre.
La description de l'accident nucléaire nous vaut quelques pages hallucinées qui mettent en évidence l'enchaînement des erreurs qui ont amenées une telle situation. Le terme apocalyptique prend toute sa dimension:
"Des poutres se courbent, se tordent, la voix de baryton du métal arraché vrombit en chœur dans les vibrations rauques et continues de l'explosion.
De l'eau pourtant: elle se rue dans les conduits de ventilation, à l'assaut des cloisons, se précipite par les couloirs. La vapeur noie les sens (...) les ampoules ont éclaté, la seule lumière provient des braises qui retombent; éclairs bleus sortant des systèmes électriques qui crachent leurs protestations. Les opérateurs tétanisés essaient de comprendre ... (...) 

Tout ce qui est solide se dissout dans l'air est un premier roman ambitieux, bien mené, qui se veut être le témoin à postériori d'une catastrophe nationale qui annonça le futur démantèlement de tout un pays. Pas de réelle surprise narrative, mais une volonté de vouloir raconter des récits de vie liés à la grande Histoire.

A découvrir.