lundi 14 septembre 2015

Le projet Almaz, Françoise Baqué

Ed. Jacqueline Chambon (diffusion Actes Sud), août 2015, 312 pages, 20 euros.

Destins.



Basile a vécu bien des vies alors qu'il n'a jamais voyagé. Lui, le cadet d'Henri Berloz et d'Ariadna, était fort, vigoureux, surpassant à chaque fois son grand frère Victor. Or, c'est sur Victor que reposaient tous les espoirs du couple. "Heureusement" une polio contractée à l'âge de huit ans a transformé le Basile Ier en une seconde version plus paisible et plus altruiste, contrainte par le handicap:
"Le passé naît à chaque instant comme se renouvellent les cellules du corps, et le passé de Basile foudroyé se changeait en celui de Basile survivant, vivant, éveillé."
 Alors quand Henri et Ariadna décidèrent de quitter la France pour l'URSS afin de pouvoir mener leurs recherches scientifiques, ils emmenèrent Victor et laissèrent Basile aux bons soins de Dorothée alias Fée. Le grand savant qui se disait progressiste avait donc abandonné son cadet, et son épouse, un fils qu'elle n'avait jamais vraiment pris le temps d'aimer...

"Nous étions toi et moi deux voyageurs assis dans un train à l'arrêt, à quelques mètres l'un de l'autre, et qui, au coup de sifflet du chef de gare, vont partir en sens opposé. Le coup de sifflet n'allait pas tarder à retentir."
Tel pourrait être résumé la relation entre les deux frères au fil des années. Victor, victime malgré lui, devient orphelin en URSS, et volontaire d'un obscur projet scientifique, "un projet consistant à réaliser l'immortalité, mais la résurrection des morts." Ce projet dit Projet Almaz le transforme en cobaye humain. Pendant ce temps, Basile grandit paisiblement, entouré, soucieux de donner un sens à sa vie:
"Moi dont le corps était devenu désordre et déséquilibre, j'ai aimé l'ordre vivant qui inspirait mon esprit et que mes mains restaient capables de mettre en œuvre."
Ignorant du destin de son frère, il décide de raconter leur vie commune enfant, et l'histoire de leur famille. Or, une visite impromptue va tout bouleverser...

Le projet Almaz se veut être le récit d'un cycle:
"Dans le règne humain, la catastrophe termine le cycle. L'ordre né à l'aube, divinement élaboré, perfection mère de perfection supérieure - mais non absente car elle laisse toujours un défaut où se glissera le germe inattendu d'un ordre plus fragile, plus exposé à mesure qu'il se ramifie - , appelle la dévastation comme la bibliothèque précieuse appelle l'incendie, l'innocence et la beauté, le viol et le couteau."
Basile est un personnage bien présent, capable de prendre en charge une âme en peine, alors que Victor reste un personnage éthéré, presque un concept, que le lecteur a du mal à situer. Ainsi, ce dernier devient ce que l'auteur pense du texte, "une vitre transparente entre moi et une illusion que je cherchais pas à distinguer de la réalité." Victor a été spolié de son âme pour devenir la matérialisation d'un projet, "une sorte de boîte étiquetée de cet ensemble provisoire, et la notion d’humanisme n'est plus désormais qu'un mot vide de sens."

Ce roman n'est ni un roman d'espionnage, ni un roman de vulgarisation scientifique. Il est l'histoire d'une famille, de deux destins différents mais liés au mêmes racines. En arrière plan, la lutte entre les États-Unis et l'URSS de jadis pour la primauté scientifique sur des recherches remettant en cause la notion même d'humain.