jeudi 27 août 2015

Les loups à leur porte, Jérémy Fel

Ed. Rivages, août 2015, 448 pages, 20 euros.

Les multiples rivages du Mal.


Cette maison qui brûle, au loin, n'est que le point de départ du parcours extrêmement violent et glaçant de Daryl Greer, qui, par la suite, changera d'identité pour devenir le redoutable Walter Kendrick.
Or, la soif de sang et de pouvoir chez un homme n'est pas un cas isolé. En multipliant les personnages et les histoires, le tout sur deux continents, Jérémy Fel montre à quel point elle peut toucher de nombreuses personnes et avoir des conséquences aussi multiples qu’inattendues.

"Il suffirait de rien pour qu'un monde s'effondre". Certitudes, peurs enfantines, chocs psychologiques, sont des portes ouvertes  pour s'effondrer du côté obscur et laisser libre cours à son penchant mauvais. Pour certains, il est d'abord un mécanisme de défense qui prend le dessus, comme Damien qui veut se protéger des actes de Steeve. Pour d'autres, il n'est que l’assouvissement d'un penchant naturel qu'on a tenté de juguler, tel Daryl qui a finalement banni toute limite à sa nature primordiale. Nous avons tous un loup à notre porte, mais c'est à nous de choisir si nous le laissons entrer ou non.

Toujours est-il qu'il n'est jamais bon de côtoyer de près ou de loin un sociopathe, qui, souvent, cache sa véritable personnalité sous un aspect affable. Qui aurait pu croire que la gentille avocate que Duane côtoyait prenait plaisir à battre son petit garçon? Qui soupçonnerait Franck d'enlever et d'emprisonner des adolescents au fond de son puits? Marie Beth a payé le prix fort en voulant fuir le redoutable Walter et ainsi sauver l'enfant qu'elle portait.

L'auteur ne cherche pas les causes à de tels comportements, écarte même la possibilité d'une quelconque génétique, genre tel père, tel fils, mais il semble que, de près ou de loin, ce sont des traumatismes d'enfance qui ont fêlés de telles personnalités.
"On n'y voyait absolument rien, un noir d'encre qui semblait infini, comme si cette zone ouvrait sur une autre dimension, débordante de ténèbres".
Toutes les histoires enchevêtrées sur plusieurs années ont un point commun, Walter Kendrick, comme si son aura démoniaque influençait sans limites de temps et de continents.

Qu'elle s'incarne en wendigo, monstre issu de la mythologie amérindienne, ou en croquemitaine qui se cache sous le lit des enfants, chacun porte en soi une part de ténèbres. Jérémy Fel a fait les portraits de personnages en lutte contre eux-mêmes, au moment précis de leur basculement (ou non) vers le grand inconnu de la violence et l'acceptation de leur moi profond.

Les loups à leur porte est un premier roman  assez maîtrisé, cohérent, qui ajoute à l'extrême complexité des personnages une ambiance à la hauteur du contenu. Les maisons sont isolées, les campements se dressent au bord d'un lac profond, les portes sont toujours fermées, et les cachettes se veulent être l'expression concrète du degré de folie du personnage.
Certains lecteurs y retrouveront toute l'ambiance des polars américains où la violence des faits monte crescendo au fil des pages. C'est une exploration des multiples rivages du mal, finalement.

Pour les amateurs du genre.