vendredi 30 mai 2014

Tangente vers l'est, Maylis de Kerangal

 Ed. Verticales, janvier 2012, 136 pages, 10.5 euros

Rencontres improbables


A bord du Tanssibérien en route vers Vladivostok et ses plages cendreuses de l'Océan pacifique, l'auteur raconte la rencontre improbable entre Hélène, française de trente cinq ans et Aliocha, jeune appelé russe ignorant.
Hélène fuit Anton, son amant russe, non pas parce qu'elle a quelque chose à lui reprocher, mais surtout pour prendre le large et s'évader de la dure vie en Sibérie, "la vie dans un monde retourné comme un gant, brut, sauvage, vide". La barrière de la langue est un fait, mais comment s'adapter au vide lorsqu'on est habituée aux tumultes de la ville?
Aliocha fait partie de ces nombreux jeunes appelés partis pour deux ans de service militaire. Avec d'autres, à bord du Transsibérien, sous les commandes d'un certain Sergent Letchov,, il ignore totalement quelle base il va rejoindre. Or, le vide des paysages sibériens désertiques lui fait peur, contracte sa poitrine, et l'encourage à tenter de déserter. Ce train, ce chemin de fer "lui rappelle qu'il n'existe plus que pour s'enfuir."
Bref, la Sibérie n'est pas faite pour les Hommes: "rien ici n'est à la mesure de l'homme, rien de familier ne saurait l'y accueillir, c'est même cela qui le terrorise, cette poche continentale à l'intérieur du continent, cette enclave qui aurait l'immensité pour frontière, cet espace infini mais sans bord." et pourtant, dans l'espace fini et confiné d'un wagon, Hélène et Aliocha se rencontrent. Par quelques gestuelles, elle comprend qu'il faut le cacher, elle devient sa complice d'un moment sans trop se poser de questions. Les regards, les ombres qui se meuvent, les emballements du cœur remplacent l'acte de parole. Malgré tout, il n'est pas facile de se cacher car le train est une véritable "petit village" dans lequel les passagers prennent leurs aises, surveillés par les provodnista...De ce fait, au vertige de l'immensité du paysage, s'ajoute celle de la peur.

Maylis de Kerangal a voyagé à bord de ce train mythique en 2010 à l'occasion de l'année France-Russie. De cette expérience, elle signe ce court roman de très belle facture stylistique, mettant en scène deux personnages au premier abord différents, mais dont la solitude et "l'inconnu du lendemain" rapprochent. Sans cesse, elle oppose l'espace délimité des wagons à celui que ces derniers traversent à vitesse continue, derniers remparts de la civilisation et espoir vierge d'un avenir libre. Complices, parfois ennemis potentiels Hélène et Aliocha viennent interrompre leur solitude mutuelle et incarne la possibilité d'un destin autre que celui tout tracé.