"Il était une fois, et une fois, il n'était pas."
C'est en s'inspirant de cette version américaine et d'un tableau américain de Grant Wood intitulé American Gothic, que Xavier Mauméjean a construit un roman patchwork retraçant le parcours de l'auteur inventé de Mother Goose ainsi que la genèse de l'oeuvre.
Le prétexte de l'enquête faite sur l'auteur est simple. La Warner Bros désirant faire un film sur le sujet, demande à un certain Sawyer d'enquêter sur l'auteur emblématique du recueil de contes, Daryl Leyland, personnage énigmatique et inculte, dont on ne sait rien sauf son amitié fusionnelle avec son illustrateur, Max Van Doren. Pourquoi une enquête? Parce que nous sommes dans les années 50 et le Maccarthisme fait rage. Ainsi, autant se prémunir de la respectabilité de l'auteur avant de l'adapter puis subir une chasse aux sorcières.
A travers les rapports de Sawyer transmis pour la Warner, les extraits de contes, les témoignages de ceux qui ont rencontrés Leyland, et les remarques de Parisot, le spécialiste français du sujet, le lecteur plonge dans l'imaginaire américain, déjà amorcé avec la parution en 1900 du Magicien d'Oz de L.Franck Baum, dans lequel les légendes urbaines "compilées par Leyland reflètent notre société, mais comme dans un miroir déformant, à la façon des numéros de foire."
"Ma Mère L'Oie, véritable nouveau monde autrement plus fort que l'ancien trop présent dans Ma Mère L'Oye de L.Franck Baum. Seul Daryl Leyland pouvait, non pas comprendre, mais ressentir la sauvage beauté du Pays Neuf, l'American Gothic à l'état brut."
American Gothic F. Wood |
Forcément, on nage en pleine fiction. Mauméjean prend plaisir à rendre vraisemblable des personnages purement imaginaires. Ainsi, pour décrire le fameux Daryl Leyland, il s'est inspiré du peintre et écrivain Henry Darger. Le véritable auteur de Mother Goose n'existe pas. quant à Max Van Doren, il est décrit comme un débile léger, inconscient de son talent artistique, incapable d'ailleurs de toute originalité, car il puise ses collages et ses couleurs (aux Crayola) à partir d'images déjà existantes. N'empêche que ses illustrations "collent" avec le texte de Leyland et en arrière plan, avec la construction patchwork voulue par Mauméjean.
"Au premier abord, le manuscrit tenait à la fois du livre d'heures médiéval et du journal clinique. Une sorte de thérapie sensée libérer les patients d eleurs obsessions par les dessins et les mots. Quelque chose de trsè intime, et de totalement impersonnel."
Impersonnel, tel est le mot qui pourrait définir le personnage central inventé par l'auteur. En effet, Leyland est un être insaisissable, incroyablement neutre dans le peu d'entretiens accordés. Il renoue avec une tradition anglo-saxonne, celle du cercle de raconteurs, point final. "Nul besoin de travestissement à la L. Franck Baum chez Leyland. Il parle de l'enfance sans fard." N'a-t-il pas connu aussi l'abandon, la solitude et la violence lors de ses jeunes années?
Pour couronner le tout, son épitaphe marque à jamais la complexité de l'auteur: "sa vie comme son œuvre fut une fiction complexe, une énigme élaborée, un canular littéraire, dense et allusif" .Tout est dit.
American Gothic est un roman pensé, cohérent, dans lequel finalement le lecteur joue un rôle central. "Cela ne sert à rien d'expliquer l’œuvre par l'homme. Personne ne peut comprendre Daryl Leyland sans avoir d'abord été inventé par lui." C'est aussi une plongée dans la création de l'imaginaire américain, tout comme le maccarthisme d'ailleurs. Le lecteur prend plaisir à lire cette enquête inventée de toute pièce sur l'auteur imaginaire de Mother Goose qui lui existe, si bien qu'on se demande où s'arrête la fiction et où commence la réalité.
A découvrir.
image < bibliothèque du Congrés US |