Ed. Folio Gallimard, 1972, 640 pages, 9.4 euros
Ce roman ne mérite pas une chronique de sept
mille caractères car il y a tellement de choses à dire, de sentiments à
expliquer après cette lecture fleuve. Donc, je me contenterai de trois
mots: famille, dignité, travail. Tous les membres de la famille Joad
méritent le titre de héros. Man, la mère, est le ciment de la famille.
Elle sait que lorsqu'il ne reste plus rien, il y a encore l'amour des
siens.
Être séparés reviendrait à admettre que le peuple a perdu devant
les propriétaires terriens: "nous sommes ceux qui vivront éternellement.
On ne peut pas nous détruire. Nous sommes le peuple et le peuple vivra
toujours."
Même son époux admet qu'elle soit le "chef de clan", la
référence lorsqu'il faut prendre une décision de survie. Dans cette
épopée tragique où les travailleurs cherchent désespérément un emploi
dans un monde du travail miné par la spéculation et considérant peu les
employés comme de nouveaux serfs, Steinbeck dresse un tableau effroyable
de la misère, provoquée et entretenue par la Banque et les riches
propriétaires. Le peuple est assimilée à une armée lâchée "sans bride ni
harnais". Chassé de ses terres par le Tracteur, symbole civil du tank,
il migre sur la route 66, "la route de la fuite" mais aussi de l'espoir
de jours meilleurs en Californie. Or, cet espoir s'effiloche au fil du
temps. "Dans l'âme, les raisins de la colère se gonflent et mûrissent,
annonçant les vendanges prochaines". La famille Joad et leurs compagnons
de misère luttent non seulement contre la faim, mais aussi contre la
perte de leur dignité. Etrangers, Hokies, dans leur propre pays, ils ne
reconnaissent plus le monde dans lequel ils survivent au jour le jour.
A
force de brimades, d'enfants mourant de faim, la colère gronde.
Steinbeck les compare à une armée en marche: "et un jour, toutes les
armées de cœurs amers marcheront toutes dans le même sens. Elles iront
toutes ensemble et répandront une terreur mortelle."
A la fin du roman,
le geste de l'oncle John envers son neveu est hautement symbolique. Il
exprime à lui seul toute l'incompréhension d'un peuple qui ne veut que
travailler, avoir un toit, et ne pas être considéré comme des bêtes ou
des esclaves modernes. Cette fresque mérite une lecture plus qu'attentive car elle est le "porte parole" de ceux qui se
taisent et subissent.