vendredi 31 janvier 2014

Les raisins de la colère, John Steinbeck

Ed. Folio Gallimard,  1972, 640 pages, 9.4 euros


Ce roman ne mérite pas une chronique de sept mille caractères car il y a tellement de choses à dire, de sentiments à expliquer après cette lecture fleuve. Donc, je me contenterai de trois mots: famille, dignité, travail. Tous les membres de la famille Joad méritent le titre de héros. Man, la mère, est le ciment de la famille. Elle sait que lorsqu'il ne reste plus rien, il y a encore l'amour des siens.
Être séparés reviendrait à admettre que le peuple a perdu devant les propriétaires terriens: "nous sommes ceux qui vivront éternellement. On ne peut pas nous détruire. Nous sommes le peuple et le peuple vivra toujours."
Même son époux admet qu'elle soit le "chef de clan", la référence lorsqu'il faut prendre une décision de survie. Dans cette épopée tragique où les travailleurs cherchent désespérément un emploi dans un monde du travail miné par la spéculation et considérant peu les employés comme de nouveaux serfs, Steinbeck dresse un tableau effroyable de la misère, provoquée et entretenue par la Banque et les riches propriétaires. Le peuple est assimilée à une armée lâchée "sans bride ni harnais". Chassé de ses terres par le Tracteur, symbole civil du tank, il migre sur la route 66, "la route de la fuite" mais aussi de l'espoir de jours meilleurs en Californie. Or, cet espoir s'effiloche au fil du temps. "Dans l'âme, les raisins de la colère se gonflent et mûrissent, annonçant les vendanges prochaines". La famille Joad et leurs compagnons de misère luttent non seulement contre la faim, mais aussi contre la perte de leur dignité. Etrangers, Hokies, dans leur propre pays, ils ne reconnaissent plus le monde dans lequel ils survivent au jour le jour.
A force de brimades, d'enfants mourant de faim, la colère gronde. Steinbeck les compare à une armée en marche: "et un jour, toutes les armées de cœurs amers marcheront toutes dans le même sens. Elles iront toutes ensemble et répandront une terreur mortelle."
A la fin du roman, le geste de l'oncle John envers son neveu est hautement symbolique. Il exprime à lui seul toute l'incompréhension d'un peuple qui ne veut que travailler, avoir un toit, et ne pas être considéré comme des bêtes ou des esclaves modernes. Cette fresque mérite une lecture plus qu'attentive car elle est le "porte parole" de ceux qui se taisent et subissent.