lundi 14 octobre 2013

RUE DES ALBUMS (2) Super-Charlie, Camilla Läckberg

Ed Actes Sud Junior,  illustrations de Millis Sarri, traduction (Suédois) Lena Grumbach, 2012, 34 p. 14 €

En premier lieu, l’album attire : il est plus grand que ses congénères, son fond est rouge avec un ovale noir, ce qui, pour les lecteurs des policiers chez Actes Sud, n’est pas inconnu. On comprend tout de suite que ce livre est destiné aux plus jeunes, mais ce qui intrigue ce n’est pas tant la couverture, c’est le nom de l’auteur : Camilla Lackberg.
Lackberg ? Lackberg ? Ne serait-ce pas l’auteur suédoise de romans policiers à succès ? Cyanure, Le Prédicateur ou encore Le Tailleur de Pierres ? Finalement le rapprochement se confirme avec la maison d’édition et le clin d’œil de l’ovale noir…
Lorsqu’on feuillette l’album (assez court puisqu’il ne fait que 34 pages), on est frappé par les illustrations. Elles semblent sorties tout droit d’un dessin animé. Les traits sont lisses, les couleurs conventionnelles, mais surtout, on a beau les regarder dans l’ordre, on n’arrive pas à bien comprendre l’intrigue. Certes, on se rend compte que le bébé est le dernier né d’une famille où il y a déjà deux enfants, que les grands-parents gardent le petit, et que ce dernier développe la capacité de voler. Et pour ceux qui connaissent Camilla Lakberg, la maman lui ressemble beaucoup (!!).
La double page 14-15 met en scène un certain désordre. Alors que le repas est considéré comme le moment d’échange familial par excellence, là on trouve certes une famille réunie, mais chacun vacant à ses occupations : la fille est debout sur la table et joue avec son père hilare (!), la maman donne à manger à bébé Charlie tout en lisant un roman de… Camilla Lakberg (Le Prédicateur), le grand-père est à quatre pattes, une lampe frontale allumée et une loupe à la main, sûrement à la recherche de sa paire de lunettes ou de l’exemplaire de Sartre échoué dans un coin…
Et finalement, cette page résume à elle toute seule le contenu de cet album : un joyeux souk !
Bébé Charlie, né tout à fait ordinaire, reçoit de la poussière d’étoiles alors qu’il dort tranquillement dans son berceau de maternité (!). Depuis, il raisonne comme un enfant de dix ans, et peut voler. Simplement pas question pour lui de révéler son secret !
Lorsque Bébé Charlie est ramené chez lui, ses frères et sœurs lui font un super accueil :
« – Comme il est fripé ! s’exclama Willy, interloqué.
– Et comme il sent mauvais ! dit Maya en se pinçant le nez ».
Le ton est donné… Commence ainsi une véritable litanie où à chaque page est rappelé le fait que les couches de Charlie sont sales ou sentent mauvais. Cela vire à l’obsession, mais surtout on ne voit pas très bien l’intérêt de ces répétitions :
« Il sentait vraiment comme les couches sales de Charlie », « la couche empestait vraiment (…) Plus elle puait, mieux c’était », « Et s’il voyait un bébé volant avec une couche pleine de caca à la main, que se passerait-il ? ».
Bref, le sujet de la couche est primordial, même notre bébé extraordinaire l’a bien compris :
« Faire semblant d’être un bébé ordinaire devint très facile pour Charlie. C’était même assez rigolo, à part cette histoire de faire caca dans des couches ».
Au fur et à mesure, le petit héros est rapidement agaçant. Il n’hésite pas à qualifier sa famille de « pas très futés », en tout cas pas aussi futés que lui (?!), et apparemment, heureusement qu’il est là pour résoudre les problèmes de son frère qui se fait insulter de « prout » (ça ne s’invente pas) à l’école.
Et pendant ce temps, la maman continue sa lecture, la grand-mère laisse en plan le petit garçon angoissé en plein milieu du couloir, dort dans le canapé au lieu de surveiller le petit, et scène suprême, n’est pas du tout déstabilisée à la vue d’un bébé volant en train de se faire un sandwich au saucisson dans la cuisine, au point de lui fournir une cape rouge pour faire Superman !
Trop c’est trop !
A trop vouloir faire dans la caricature ou l’humour décalé, l’histoire perd pied et devient grandiloquente. Les personnages auraient eu besoin d’un petit supplément d’âme. Ce sont des « coquilles vides », évoluant les uns à côté des autres, ne se posant même pas de question lorsqu’ils sont face au petit dernier en pleine lévitation ! Le thème de la couche sale qui finalement devient « la super-arme-super-importante » de Bébé Charlie confère à l’obsession et réduit considérablement l’humour de nos plus jeunes au registre scatologique.
Côté illustrations, seules les aventures du doudou à chaque page méritent de l’attention et mettent un peu d’humour dans le naufrage familial… Quant à la maman qui lit à table (ou ailleurs) du Camilla Lackberg, le clin d’œil ironique devient douteux.
Super-Charlie est un album « prise de tête », où l’humour devient ridicule, rempli de scènes fantasques mettant en scène un petit héros insipide et non-attachant. Et finalement, une fois la dernière page refermée, on se demande : quel est l’intérêt de l’histoire ? Y-a-t-il une leçon de vie à exploiter ? Certainement pas !
Et dire que Super-Charlie est destiné à devenir une série…