
Il
serait fastidieux d’énumérer le contenu de chacune des vingt et une
nouvelles qui composent le recueil. En effet, cet artifice n’éclairerait
pas le lecteur potentiel sur l’ensemble, mais obscurcirait à coup sûr
l’idée qu’il se fait de la lecture d’« une anthologie permanente de la
nouvelle ».
« Fermez les yeux avant de les ouvrir ».
Fort de ce conseil d’André Breton,
rappelé dans le texte de Frédérick Tristan, Hubert Haddad a rassemblé
des nouvelles issues d’univers littéraires différents, « celles qui
cinglent une bonne fois la durée charretière du roman, impliquent
presque toujours suspense, humour infusible, chute dans l’exosphère,
fatale irrésolution, mise sur orbite inexplorée, nouveau paradoxe de
Zénon, signal Wow ! La dimension magique n’étant rien d’autre qu’un
approfondissement de la réalité, sa mise en perspective fantasque,
l’invention inépuisable de ce qu’elle semble être ou n’être point ».
Ecrire une nouvelle est exercice
difficile car il s’agit de raconter une histoire captivante en peu de
lignes, et de manier l’art de la chute. Les contraintes du genre sont
nombreuses, mais hormis les deux « obligations » citées plus haut,
l’auteur est libre d’emmener le lecteur où il veut. Dans les Noix de coco,
Gary Victor insiste sur la liberté créatrice de l’auteur, sur la
nécessité d’une inspiration non censurée, même si cette dernière est à
l’origine de difficultés conjugales ! Ainsi, Hugues Simard nous emmène
vers les chimères des rues parisiennes ; Tristan Félix se fait narrateur
omniscient d’une journée d’été dans un quartier. Enfin, Sylvain Jouty
dans Sauver ma peau, narre les mœurs étranges du pays de Sgurr où chaque habitant écrit son propre livre :
« Ici, chaque homme est un livre, et chaque livre est un homme ; voici pourquoi les vôtres vous ont été confisqués ».
Chaque nouvelle est découverte d’un lieu réel ou fantasmé.
« Ecrire c’est attiser le feu »
explique Frédérick Tristan. C’est aussi emmener le lecteur vers des
contrées inexplorées aux confins du fantastique et de la poésie. Dans La brocante mystique,
Châteaureynaud confronte son personnage, amateur de changement et
rebelle à toute forme de « vieilleries », à l’usure du temps, en lui
faisant affectionner de vieux clichés.
Justement, la question du personnage est
essentielle. Il faut un bon personnage pour porter une bonne nouvelle
car il est seul. N’est-ce pas ce que François Coupry explique dans Le jour où j’ai su que je n’étais pas humain ?
« J’étais dans mon rôle, comme tout
bon personnage de roman, tout bon acteur : un monde d’opérette ne dit-il
pas de ressentir de la haine pour des terrestres qu’il doit forcément
combattre dans la guerre des Etoiles ? »
Le narrateur, professeur au Centre Romain d’Etudes des Récits de l’Imaginaire se transforme peu à peu en monstre vert…
L’imaginaire est primordial dans les nouvelles de ce recueil. Il peut être un « vécu fictionnalisé » ou issu de l’imagination libre de l’auteur. Dans Effet secondaire,
Eric Faye raconte l’histoire d’un homme capable d’entendre les pensées
intimes des gens à cause d’une otite mal soignée. Tout savoir sur tout
devient un fardeau :
« Il souffrait, nostalgique, d’un âge d’or où tout n’était peut-être que simulacre mais où la lucidité ne l’accablait pas ».
Ces voix, Faye les appelle « les serpents qui sifflent dans les égouts de l’esprit ». Elles rappellent celle du narrateur de Cendres,
la nouvelle d’Anne Mulpas : un homme au chômage, en fin de droit,
décide de monopoliser la parole devant l’employée de Pôle Emploi, car
parler, c’est exister encore un peu :
« Je me suis éteint (…) Une
extinction pure et simple quasi indolore. Je suis devenu un hommes de
cendres et lorsqu’ils m’ont licencié il y a deux ans, j’ai accepté sans
broncher, sans me battre pour de meilleures indemnités ».
Parler oui, mais pas de logorrhée verbale. Parler pour exorciser sa peur, pour vaincre le traumatisme. Dans Hptel,
Christine Balbo met en scène Laeta Loquax, une joyeuse bavarde, la
veille d’une opération bénigne. Descendue pour fumer une dernière
cigarette, elle se retrouve coincée hors de l’hôpital, à passer la nuit
sur l’esplanade, « parvis de cathédrale pour cour des miracles », avec des compagnons d’infortune.
Hptel, ou Hôpital Privé de l’Est Lyonnais ; le T synonyme de Trauma pour chaque patient :
« Autour du brasero chacun y alla de
son histoire, véridique ou fantasmée. Les membres manquants s’étaient
perdus dans la ferraille d’un accident de grue, dans un défi de rodéo de
banlieue, dans un duel au cran d’arrêt, sous une machine outil ».
La force de la nouvelle c’est de convaincre le lecteur qu’il est partout chez lui et nulle part à la fois.Nowhere at home pense Hubbert Haddad qui anticipe une France avec des frontières du Sud rétablies, victime d’un accident nucléaire majeur :
« Mais l’apocalypse n’est qu’une saison du monde et le déluge, sans doute, qu’une façon d’arroser son jardin ».
Le rêve sans fin parle du temps
qui passe, du temps passé et celui à venir. Ses personnages sont
mystiques, chimériques, évanescents, parfois fous comme Efferhorn raconté
par Marc Petit. Nous sommes loin des lois du roman où plusieurs
personnages participent, souvent, à la narration. Tout est unique dans
la nouvelle : unité de temps, d’action, de lieu, de personnage. La force
du recueil est de transformer cette unicité en multiplicité sélective.
Tous les écrivains publiés dans cette livraison de Brèves
développent une littérature basée sur l’imaginaire et la fiction,
éloignée des carcans du réalisme ou du psychologisme. Ils incarnent une
branche méprisée du « roman français ». Les réunir dans un ouvrage
collectif témoigne de la volonté de changer les mentalités et d’apporter
un regard neuf sur le genre. Pour cela, saluons la revue Brèvesqui, depuis 1981, soutient, diffuse et fait connaître les auteurs de nouvelles