La
constellation du Grand Chien (Canis Majoris) est l’une des
constellations les plus anciennes répertoriées car elle possède en son
sein, l’étoile la plus brillante du ciel, Sirius. A travers les âges et
les civilisations, elle reste un point de repère immuable pour nous,
humbles terriens, qui contemplons le ciel. En effet, les étoiles
resteront même si l’Humanité disparaît…
Dans le monde décrit par Peter Heller,
il ne reste plus rien, ou presque. Les puristes diront que nous sommes
en plein roman post-apocalyptique, et ils n’auront pas tort puisque le
lecteur apprend très vite qu’une pandémie de grippe a balayé les Hommes,
associée à un fort réchauffement climatique. La société telle que nous
la connaissons a été détruite, et les survivants vivent dans les ruines
de l’ancien monde.
Justement, cela fait dix ans que Bangley
et Hig ont fait d’un aérodrome du Colorado leur quartier général. Le
premier, pilote chevronné, a réussi à entretenir un Cessna 182 de 1956,
et entreprend régulièrement des rondes en plein ciel, avec son chien
Jasper, afin de sécuriser leur périmètre, tandis que le second, fou de
la gâchette, reste sur terre, et surveille la venue d’ennemis
potentiels. Car oui, ils ne sont pas seuls. Pas de zombies, pas
d’anthropophages, juste des bandes errantes qui tentent comme eux de
survivre dans une nature qui a repris ses droits.
La nature est un personnage
essentiel de ce roman. A bord de son avion, Hig n’arrête pas de la
contempler et l’admirer, même si cette dernière lui a retiré ce qu’il
lui permettait d’être en harmonie avec elle : la pêche à la truite.
Désormais, il s’est adapté à ce que cette dernière consent encore à
procurer, et observe son incroyable capacité de survie :
« Beaucoup d’arbres morts s’y dressent à présent et se balancent comme mille squelettes, soupirant comme mille fantômes, mais pas tous. Il y a des parcelles d’arbres verts, et je suis leur plus grand fan. Je les encourage depuis la plaine. Allez allez allez poussez poussez poussez ! C’est notre chant de résistance. Je le hurle par la vitre quand je les survole à basse altitude ».
De son amitié avec Bangley, Hig n’arrive
pas à l’expliquer. Il est arrivé un jour, il s’est installé et a décidé
que sauver la peau de Hig était « son job ». « Il tue tout ce qui bouge ou presque », et semble apprécier le temps du monde fini :
« Il aura fallu la fin du monde pour faire de nous les rois d’un jour. Pas vrai Hig ? Les capitaines de notre destin. Ha ! »
Or, Hig sait qu’il va lui falloir
partir. Ivre de liberté et du besoin de se ressourcer avec son chien en
pleine nature, mais aussi parce qu’il y a trois ans environ, il a réussi
à capter un message radio au loin, en provenance de la grande ville.
Qui sait ?
Peter Heller met en scène un homme qui a
tout perdu, qui a survécu à l’apocalypse, et qui ne peut plus « faire
semblant » neuf années après. Hig est un homme « éreinté. Jusqu’à la moelle. Le détachement ça demande un tel effort
». Il ne lui reste plus que son chien, l’amitié étrange de Bangley qui
ne le suivra pas mais l’attendra, et la nature dans toute sa splendeur
malgré la sécheresse récurrente : « l’arbre dégage l’odeur la plus sucrée qui soit au monde, il sent le passé ».
Pour adoucir le chagrin de la perte de son épouse et son enfant, ancrée encore en lui, mais aussi pour chasser « les fantômes pâlissants » de ses souvenirs du monde d’avant, Hig veut se rendre compte par lui-même, saisir avec ses yeux l’ampleur du désastre, et se persuader aussi que la civilisation n’existe vraiment plus :
« Je suis particulièrement habitué au chagrin. (…)Ce que nous sommes, ce que nous faisons : on flaire un filet, on pousse, on le repousse, ce filet qui n’existe pas. Les nœuds des mailles aussi résistants que nos croyances intimes. Que nos peurs intimes ».
Le monde du temps fini a commencé, mais
contrairement à un bon nombre de romans post-apocalyptiques, grâce à de
nombreux indices, il porte en lui de nombreux espoirs, une renaissance
possible, car « la vie est tenace si on lui montre ne serait-ce qu’un peu de soutien ».
« De là-haut, il n’y avait ni misère, ni souffrance, ni conflits, simplement des motifs et la perfection. Le calme éternel d’un paysage peint ».
La Constellation du Chien est
un roman flamboyant, profondément poétique, servi par la traduction
brillante de Céline Leroy. Il avance l’hypothèse d’un renouveau après
l’apocalypse et l’immense force de l’homme à avancer, à survivre, malgré
la perte :
« S’il n’y a rien d’autre, il y a ceci : être inondé, consumé. Ce n’est pas qu’il ne reste rien. Il reste tout ce qui était avant moins un chien. Moins une femme. Moins le bruit, la clameur de ».
« Insuffler la vie par le récit », voilà la tentative de Peter Heller brillamment réussie, « comme pour animer la plus profonde beauté qui serait figée dans son immobilité mortelle ».
C’est ce qui fait la force de la littérature, la possibilité de transformer le chaos du monde en pure beauté.