samedi 5 octobre 2013

Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil, Haruki Murakami


Traduit du japonais par Corinne Atlan, Ed 10/18, août 2011, 259 pages, 7.5 euros
 

Jumeaux cosmiques 


Hajime et Shimamoto-San se sont plus dès l'école primaire. Enfants uniques tous les deux, ils se complètent parfaitement. Au Japon, être un enfant unique revient souvent à dire qu'on est "un être incomplet". Or, nos deux personnages considèrent ce statut comme une chance et peut-être une plus grande aptitude à affronter la solitude.
Les années passent, l'adolescence et les déménagements font que les deux amis se perdent de vue. Mais Hajime, malgré sa relation avec Izumi, n'a de cesse de penser à la grande absente de son cœur: "peut-être avions nous tous les deux consciences d'être encore fragmentaires; nous commencions à peine à sentir les prémices d'une réalité nouvelle qui nous comblerait et ferait de nous des êtres achevés."
Le temps qui passe devient alors le troisième personnage de ces "star-crossed lovers". Hajime dit: "ces douze années je les passai dans la solitude, le silence et le désespoir. Ce furent des années glacées, au cours desquelles je ne rencontrai pratiquement personne qui me paraisse en accord avec mon cœur."
Trentenaire, notre héros se marie et devient père. Homme d'affaires florissant, patron de deux bars à jazz, il croise une nouvelle fois la route de Shimamoto-San. La complicité de l'enfance revient....On sent tout de suite que ces deux êtres sont faits pour être ensemble, mais le destin en a voulu autrement. De la vie de la jeune femme, on ne sait rien, sauf le chagrin d'avoir perdu un nouveau-né, et son amour intact pour Hajime. Ces "deux êtres incomplets" sont devenus "complets et aboutis". Or, Hajime est-il prêt à tout plaquer pour suivre Shimamoto-San? De plus, cette dernière a la fâcheuse habitude d'apparaître puis de disparaître régulièrement....

Ce roman a de nombreux points communs avec "la ballade de l'impossible" et le traitement du sentiment amoureux. les pages transpirent de sensualité et de nostalgie. Le questionnement du temps est très important: l'impossibilité de retour en arrière, le destin préétabli sont autant de thèmes traités. "Avec le temps, de nombreuses chose se figent comme du plâtre dans un seau, et on ne peut plus retourner en arrière. Le "toi" que tu es maintenant est solidifié comme du ciment, et tu ne peux pas être autre que ce que tu es, aujourd'hui."
La tromperie, la douleur, le rêve et la réalité, autant de sujets chers à l'auteur...Les passages oniriques sont beaucoup moins marqués que dans d'autres romans. Izumi, personnage secondaire a pourtant, à mon avis, le mot de la fin. Elle est l'incarnation même que toutes nos actions antérieures laissent des traces indélébiles dans le cœur des protagonistes.
Le tout, bercé par la musique de Nat King Cole et de Duke Ellington....