"Comme un événement prédéterminé ou un effet boule de neige, quand on considère tous les éléments dans la durée".
Fragments de lecture...
Les chroniques littéraires de Virginie Neufville
mardi 18 mars 2025
Loosers flamboyants
mardi 11 mars 2025
Ombre permanente
"Au fond de moi, une pensée absurde s'insinuait : elle m'a suivi, comme mon ombre, c'est ma lune. Sans doute est-ce précisément la nature de la lune ; le soleil se lève au-dessus de la tête de tout le monde, sans distinction ; la lune, elle, sort des ténèbres de chacun. Oui, sans doute".
Alors elle devient le lieu de tous les fantasmes à l'image de sa géographie.
"Autrement dit, la face cachée de la lune ne raconte aucune histoire. Elle n'a pas d'âme. C'est un monde morne et désolé, avec des cloques comme une feuille de papier japonais fraîchement fabriqué, sur lequel sont tombées quelques gouttes d'eau".
A l'origine d'une pandémie mondiale, notre satellite interfère sur les sociétés humaines, obligeant le Japon à avoir un gouvernement dictatorial issu du Salut National tentant de palier l'urgence sanitaire. Un peu comme le mythe du Loup Garou, à chaque pleine lune, des femmes et des hommes - des Moonlings - se retrouvent "hors d'eux", dans l'impossibilité de gérer leurs pulsions les plus primaires accompagnées d'une force surhumaine, avant de sombrer dans une forme de catatonie.
"Aucune lune gorgée de sang plus jamais ne se lèverait sur notre pays".
vendredi 7 mars 2025
Noyade
"Dans ces moments-là, le temps s'accélère. Juste avant l'impact, le temps défile à la vitesse de la lumière.
Des taches d'amnésie comme de la peinture blanche se répandent dans le cerveau".
"Tandis que l'eau noire s'infiltrait dans l'espace où elle était contenue, aussi douillettement que n'importe quelle matrice".
Kelly attend les secours, persuadée qu'elle sera sauvée. Elle continue de croire que le sénateur fera tout pour elle, puisqu'il l'a choisie en cette journée d'été parmi une myriade d'autres jeunes femmes. Et malgré l'image qu'elle a peur de renvoyer à ses parents, elle était bien décidée à aller jusqu'au bout avec lui, même si pour cela, elle devait le laisser le conduire.
Dans ce court roman, Le sénateur n'est qu'un personnage périphérique, sûr de lui, sûr de son discours et de l'intérêt que lui voue les jeunes femmes. Parfois, il s'apparente à un prédateur sans scrupules auréolé de son influence politique. Seulement, très vite, Oates gratte le vernis des apparences et l'accident révèle au grand jour ce qu'il est vraiment : un égoïste et un lâche.
Reflets en aux troubles se lit d'une traite tant son intrigue est intense même si on en connaît le dénouement et l'épilogue. Il en dit long sur le déclin moral des élites et la naïveté des jeunes gens. Par delà le prisme de l'actualité, il devient un roman essentiel.
Ed. Actes Sud, collection Babel, traduit de l'anglais (USA) par Hélène Prouteau, mars 2001, 200 pages, 7.50€
lundi 3 mars 2025
"Je suis juste là"
Nous vivons tous avec des gens - et des lieux - et des choses - auxquels nous avons accordé beaucoup d'importance. Mais, en fin de compte, nous n'avons aucun poids".
"Qui sait pourquoi les gens sont différents ? Nous naissons tous avec une certaine nature, je crois. Après quoi le monde nous balance ses coups".
C'est curieux comme l'esprit reste hermétique à quelque chose jusqu'à ce qu'il ne le soit plus".
"J'ignorais que l'intégralité de ma vie prendrait une tournure nouvelle".
vendredi 28 février 2025
Mentalité tordue
"Chabot avait été bâti au bord d'une ravine envahie de kudzu, une sorte de vigne que rien ne parvient à tuer, et d'ordures que quelqu'un ne cessait d'y déverser , attirant ainsi des ratons laveurs et des chats sauvages qui, agiles comme des esprits, erraient la nuit et laissaient leurs signatures sur les lieux".
"Tout était figé. L'enfance se résume-t-elle à ça , des choses qui passent ensuite à toute allure devant une fenêtre, des arbres soudés par un mouvement trop rapide pour qu'on en mesure les conséquences ? Dans ce cas qu'est-ce donc l'âge adulte ? Le bus qui s'arrête ? Un homme de quarante ans et quelque qui se heurte à son passé, alors que le kudzu continue de pousser"?
lundi 24 février 2025
Big Brother universel
"Les secrets sont des mensonges
Partager, c'est aimer
Garder pour soi, c'est voler".
Et puis le cercle a absorbé la première entreprise au nom d'une jungle. Elle est devenue de plus en plus grosse pour devenir Le Tout dont le centre névralgique se situe en Califormie sur l'île de Treasure Island. Mae a réussi, elle s'est retirée maintenant en haut de sa tour d'ivoire, laissant à ses "adeptes" le soin d'aller toujours plus loin dans des idées de nouvelles applications de réseaux sociaux.
Delaney Wells a grandi dans ce monde anxiogène. Petite, dans l'Idaho, ses parents l'avaient protégée de ce monde connecté puis la multinationale les avait aussi absorbée. Devenue adulte, elle s'est promise de faire imploser le système. Pour cela, elle décide de l'intégrer pour mieux le connaître, l'analyser et proposer des applications, qui selon elle, réveilleront les consommateurs et seront le point de départ de la révolte.
Pour l'aider, elle peut compter sur l'aide de Trogs- noms donnés à ceux qui refusent de se filmer en continu - et en particulier Wes qui, depuis que son chien Hurricane n'a plus le droit de courir librement sur la plage car il n'est pas pucé, fulmine contre Le Tout.
"TrogTown n'occupait que seize pâtés de maisons, mais offrait un retour radical aux villes d'autrefois, qui n'avaient même jamais ressemblé à cela".
Sur Treasure Island, Delaney découvre un autre monde, hyper connecté où ses semblables remettent leur vie et leur quotidien au bon vouloir de programmes futiles et souvent insensés.
"Comme pour une majorité croissante d'innovations technologiques, la création et la prolifération de Samaritain, une application standard des ToutPhones, étaient le produit d'un mélange d'utopisme bienveillant et d'obéissance pseudo-fasciste".
L'intelligence artificielle dirige les hommes et contrôle leurs pensées. Le libre arbitre n'existe plus. Pas facile pour la jeune femme de simuler une totale adhésion au système. Tel Winston dans 1984 de George Orwell (Gallimard 2018 pour la nouvelle traduction) elle cherche le bon moyen et le bon moment pour agir et proposer de nouvelles idées qui, selon le bon sens, seraient des bombes à retardement. Hélas, à chaque fois, ses propositions font mouche et font un peu plus du Tout le grand manitou universel. L'être humain est en passe de devenir Homo Numerus...
Et pendant ce temps, son entourage est absorbé par l'entreprise tentaculaire : Wes, ses parents et même son mentor, sa professeur de faculté, Argawal, retournent leur veste. Alors que quelques révoltes se fomentent et des attentats se préparent, Delaney met en place un plan diabolique : autant s'attaque à la source, c'est-à-dire Mae, pour parvenir à ses fins. Oui, mais à quel prix pour elle ?
En 2016, Dave Eggers avait prévenu que Le Cercle aurait une suite dans laquelle l'Homo Communicans poursuivrait sa mutation. Le Tout se veut être un roman dystopique comme son grand frère mais au fil des pages et au regard de l'actualité, il devient surtout un présage de mauvais augure. A l'heure du déploiement de l'intelligence artificielle, Dave Eggers nous présente un monde où la liberté individuelle disparaît ainsi que le libre arbitre. A la surface, c'est un monde idéal, hyper lissé dans lequel on se sent en sécurité. Mais quand on y plonge, on se débat d'abord puis on se noie, vaincu.
"Le Tout, avec la complicité totale de l'humanité, voulait un autre monde, un monde sous surveillance, sans risques, ni surprises, ni nuances, ni solitude".
Dave Eggers joue avec nos peurs, nos travers et nos désirs dans cette histoire prenante jusqu'à la toute dernière ligne.
Ed. Gallimard, janvier 2025, traduit de l'anglais (USA) par Juliette Bourdin, 640 pages, 26€
vendredi 7 février 2025
Secret enfoui
"Dans la voiture, nous n'étions que des ombres. Il y avait quelque chose de prophétique dans tout ça, comme si l'on entamait une traversée du Styx vers le pays des morts, un voyage de retour vers le centre des choses, vers les secrets auxquels je ne m'étais pas autorisé à penser pendant des années".
"Je pense que j'en étais arrivé à ce point de la vie où l'opinion des autres ne comptait plus, où toute humanité, si l'on peut dire, m'avait entièrement quitté. Et peut-être qu'au plus profond de moi, je rentrais aussi pour d'autres raisons".
"Je me donnais les surnoms de Specimen, parce que j'étais exactement ça, un naufrage affectif sur lequel les membres de la communauté médicale se bâtissaient une carrière".
"Nous allions rapidement vers un monde dans lequel il n'y aurait plus de choses réelles, ou dans lequel les choses réelles seraient redéfinies, jusqu'à ce que les choses représentées soient plus réelles que les choses réelles, car le réel n'existerait plus".
lundi 3 février 2025
Résister ou fuir ?
"Ce qu'elle a sous les yeux, c'est l'image d'un ordre qui se détraque, le monde sombrant dans une mer noire et inconnue".
"J'essaie de faire tenir cette famille dans un monde où tout semble calculé pour nous arracher les uns aux autres, il y a des moments oui ne rien faire est le meilleur moyen d'obtenir ce que l'on veut, il y a des moments où il faut se taire et baisser la tête".
"Eilish regarde le ciel au bout de la rue, à hauteur de Christ Church Cathedral, le brasier de lumière flambe lentement, comme si le monde avait pris feu".
La mère de famille s'assimile alors aux arbres qui résistent pendant les mois d'hiver puis déroulent leurs bourgeons aux beaux jours. Cette comparaison l'endurcit et la mène vers une forme de résistance. Tout comme eux, on pourra compter les années sur son corps et elle résistera, coûte que coûte, aux agressions extérieures pour protéger les siens.
Le Chant du Prophète est sombre, très sombre, mais la lumière n'est pas loin. L'espoir fait vivre dit un dicton populaire. Il prend toute sa mesure dans ce roman qui porte bien son titre et dont l'héroïne garde la tête haute.