J'écoute ta souffrance.
Dans Ma mémoire assassine, Kim Young-ha raconte l'histoire d'un tueur en série atteint de la maladie d'Alzheimer. Une fois de plus, l'auteur s'intéresse aux marginaux, se penchant cette fois-ci sur le destin du leader d'un gang de motards.
En guise d'épilogue au roman, il raconte l'origine de son sujet ainsi que sa démarche littéraire en voulant rencontrer les futurs protagonistes de sa fiction:
"La plupart des bonnes histoires viennent de traîtres ou de déserteurs. Je me sentis donc immédiatement curieux de le rencontrer et leur demandai de prendre un rendez-vous."
Par le biais de récits et de témoignages portant sur un motard charismatique, Kim Young-ha décide de creuser le sujet, d'en faire ensuite un roman, tout en se posant la question du pouvoir du romancier et sa capacité à transformer la réalité sans vraiment la dénaturer.
"Il paraît que je suis né à la croisée des chemins" aime à dire Jeï pudiquement, lorsqu'il raconte sa naissance chaotique.Né dans les toilettes de la gare de Séoul, il doit sa survie à une commerçante qui le sauve des griffes d'une marée humaine en délire. Plus tard, il développe très vite une faculté extra-sensorielle: entendre les souffrances des animaux, des objets et des êtres humains. Véritable caisse de résonance des malheurs des autres, il apprend à vivre avec, mais surtout à être à leur écoute. C'est ainsi qu'il se lie d'amitié avec Dong-Kyu, le narrateur principal, frappé de mutisme sélectif durant son enfance:
"En acquiesçant de la tête, j'avais pris l'habitude de considérer sa volonté comme la mienne. Il n'était donc pas le simple récepteur de mon désir mais son interprète."
Très vite, Jeï devient un modèle pour Dong-Kyu, même lorsqu'il entre dans la marginalité:
"Depuis toujours, il s'était construit sa propre carte de l'Univers. Imperméable à tout savoir scolaire, n'accordant guère de crédit aux adultes, il avait développé sa propre vision des choses."
Son adolescence au sein de la jeunesse délaissée et marginale de Séoul lui vaut de développer des aptitudes de leader au sein d'un gang de jeunes motards. A toute vitesse, sans casques, ces gamins parcourent les rues de la capitale, seul moyen pour eux d'exprimer leur colère, et de faire face à une société trop policée. Très vite, Jeï devient charismatique. Il entend leurs mal être, les comprend tout en leur adressant peu la parole. Cette position lui permet aussi de mieux se comprendre:
"Jeï avait saisi d'emblée l'étrangeté de son néant. Il était renvoyé au passé où il n'existait pas encore et projeté dans le futur où il ne serait plus. Il en éprouva une sorte d'effroi."
Le jeu du chat et de la souris contre les autorités va emmener le gang jusqu'à une course ultime, le jour de l'Indépendance, où Jeï et les siens vont défier la police jusqu'à une confrontation finale.
Kim Young-ha porte les sentiments humains à leur paroxysme en les transcrivant de façon brute, sans jugement de valeur. Il est le témoin d'une génération perdue et, par sa plume, décide de leur rendre une parole qui leur a été depuis longtemps enlevée. Au delà du parcours de Jeï et des jeunes marginaux, l'auteur dénonce les tensions sociales dues à une société trop policée qui laisse sa jeunesse de côté si elle ne rentre pas dans le moule prévu par la loi.
Les voix qu'entend le héros sont les bruits, parfois les mugissements de la société qui gronde. Seulement, personne ne les entend vraiment. Alors, en choisissant un héros comme Jeï, Kim Young-ha propose une alternative, un retour à l'écoute, pour enfin tenter de comprendre comment ces jeunes coréens en sont arrivés là.
En filigrane, la relation entre Dong-Kyu et Jeï met en évidence le côté charismatique du leader:
"Plus il s'élevait, plus moi je dégringolais. Je me sentais comme un eunuque au service de son souverain depuis l'enfance."
J'entends ta voix est un roman principalement centré sur les émotions, ne proposant aucune piste de réflexion sur les agissements des personnages. Tout est raconté à l'état brut, et la narration amplifie la force des émotions présentées.
Kim Young-ha a donné la parole à ceux qu'on n'entend pas grâce à la puissance des mots.